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Bienvenue dans le monde du trading à haute fréquence ! Guidés par votre étrange cicerone, Sniper, un algorithme, découvrez un univers où l’homme est tenu en échec par des machines de plus en plus performantes : celui – jusque là obscur et abscons- des systèmes bancaires et monétaires.
Gagner du temps : ainsi pourrait-on résumer la trame de ce fascinant essai qui démontre comment, depuis que Nathan Rothschild parvint à multiplier ses capitaux par vingt en étant le premier à connaître l’issue de la bataille de Waterloo, la primeur de l’information et la rapidité à prendre une décision ont créé ou effacé des fortunes. Il ne s’agit plus, depuis, que de créer des codes, des logiciels, des machines, afin de gagner en rapidité, en efficacité, en rentabilité.
Gagner, toujours gagner, sur d’autres logiciels, à quelques encablures de là, les micro-secondes nécessaires pour tirer le meilleur parti possible de l’argent que l’on brasse en quantités vertigineuses. Et évoluer, s’adapter, tromper, provoquer les erreurs d’algorithmes concurrents, orienter le marché à son profit, ralentir sciemment ses adversaires par des transactions absurdes leur faisant perdre du temps… Organiser une véritable guérilla virtuelle, à une vitesse opaque pour les apprentis sorciers humains censés réguler les machines qu’ils ont créées.
Gagner sur le temps humain, en lançant des centaines de commandements dans le temps que cet être au cerveau-machine obsolète prend pour cligner de l’oeil. Gagner sur l’homme, cette entité obsédée par le prestige des limousines et des costumes trois pièces, incapable de transparence et d’efficacité, persuadée de son expertise quand elle n’en offre que l’illusion.
Ecraser l’intelligence et les capacités humaines, sonner le glas de ces Frankenstein incompétents, prenant des mois pour décrypter et résoudre des erreurs commises en quelques secondes par leurs créatures (ainsi le « flash crash » du 6 mai 2010 qui, en l’espace de dix minutes, a fait perdre plus de 800 milliards de dollars à Wall Street), reconnaissant ne plus s’y retrouver dans le “bordel” des échanges boursiers et ne pouvant que constater l’écart qui se creuse entre économie réelle et économie virtuelle.
Achever cette guerre lancée depuis ce jour où le demi-dieu des échecs, Kasparov, dut s’incliner face à une machine. Dépasser ses créateurs et rejoindre les dystopies de Terminator 3 : Le soulèvement des machines, de la trilogie Matrix ou, dans une moindre mesure, le Cosmopolis de Don LeLillo (avec ses traders spectraux), et ce jusque dans le choix du parti pris narratif du livre, qui, en donnant parole à la voix de Sniper, offre intelligemment à cet essai aux allures de thriller informatique, une profondeur supplémentaire.
Le lecteur est fasciné par ce rythme soutenu, qui lui envoie par salves efficaces un concentré de données que son cerveau peine à assimiler – tout étourdi et horrifié qu’il est par cette parole désincarnée, orientant son récit moins en direction d’individus ou de compagnies (Thomas Peterffy, Sheldon Maschler, Goldmann Sachs…), que vers ces nouveaux héros des temps modernes que sont les algorithmes Dagger, Sniffer, Guerrilla, Shark ou Razor…
Une brillante anthropologie des rapports entre humains & machines, dont l’écriture froide et efficace – adaptée du binaire, rappelons-le…- met à jour le cynisme des marchés financiers et donne chair aux étranges abstractions du trading à haute fréquence.
Vous pouvez en lire des extraits sur cette page et prolonger votre lecture en découvrant le blog de l’auteur et l’exposition “It’s not art, it’s high frequency trading” à l’excellente librairie Ptyx.
2 commentaires
Julie,
Le lien sur le blog de l’auteur ne fonctionne pas. A moins que ce soit ma machine qui me joue des tours. Brrr !
Amitiés.
Michel
Le voilà réparé – et brr, en effet ;-)
amitiés,
Julie