De Litteris

29-1-2012

Blue Jay Way

Fabrice Colin - Editions Sonatine

Des paroles psychédéliques des Beatles, un extrait de L’Apocalypse et du plus beau livre de Robert Schulteis ouvrent Blue Jay Way : le récit n’est même pas entamé que nous voilà entraînés dans un monde où les brumes obscures s’entrelacent au clinquant de Los Angeles, promis à la spirale inextricable dans laquelle se perdra le personnage principal.

Julien est un jeune journaliste fasciné par la culture américaine underground, « comme on peut l’être quand on est français », et traumatisé par la mort de son père, disparu dans l’avion s’étant écrasé sur Pentagone le 11 septembre 2001. Passionné par l’œuvre de Carolyn Gerritsen, il se voit offrir par la romancière une curieuse proposition de travail : moyennant finances, Julien sera chargé de chaperonner Ryan, son fils, et de l’aider à sortir de la dépression dans laquelle l’a plongé sa participation à une émission de télé-réalité trash (ironiquement baptisée The looking glass). Invité à Blue Jay Way, villa fantasque dominant Los Angeles, il s’abandonne à la vie hollywoodienne dans ce qu’elle a de plus décadent, jusqu’à ce que des morts violentes viennent le plonger dans le chaos… Parviendra-t-il à remonter jusqu’aux origines du Mal, aux sources de la Fiction ?

Fabrice Colin signe ici un premier thriller impressionnant, à l’écriture oscillant entre froide obscurité (impressionnants chapitres, détachés du récit-phare, où l’horreur, décrite de façon quasi-clinique, se met en route) et langue acérée, inquiète, interrogeant le réel. Il y trace moins le portrait du mal (« ne te préoccupe pas du mal : il surgira malgré toi ») que les limites de l’âme moderne (« comment s’émouvoir encore et craindre ce à quoi on ne croit plus ? »), et parvient à saisir avec finesse ce qui fait l’essence du contemporain, c’est-à-dire le moment où les frontières entre fiction et réalité se font de plus en plus confuses, instant qu’il mime dans son processus d’écriture – ainsi le name dropping lui permet-il d’imprégner de réalité sa propre création, en jouant de la véracité des noms (hollywoodiens comme français – quel plaisir de croiser Pacôme Thiellement au détour d’une page !) pour assurer celle de son récit.

Son Los Angeles, imprégné de cynisme sincère, de décadentisme et d’humeurs lynchéennes, est le parfait reflet de l’âme de son personnage : la ville où la réalité se dissout entre les doigts de ceux qui tentent de se l’accaparer est le théâtre idéal pour la quête de Julien, « Mulder inversé » cherchant, à travers la fiction, à se sauver du chaos qu’est devenue sa notion du réel après l’attentat contre le Pentagone («mon père, à les entendre, n’avait été le passager que d’un vol imaginaire »). Holden Caulfield post-onze septembre, Julien se retrouve prisonnier, non plus d’un naufrage mais d’une fiction programmée : il semble n’avoir d’autre ressort, pour s’en sortir, que de se perdre un peu plus dans la fiction en racontant son histoire. Mais qui sortira grandi de toute cette confusion : la réalité ou l’imaginaire ?

En poussant un peu plus loin certaines de ses obsessions scripturales (le 11 septembre, déjà mis à l’honneur dans World Trade Angels et Bal de givre à New York, l’art comme moyen de substituer le réel, le jeu post-moderne sur l’image du narrateur et de l’écrivain), Colin nous offre, avec ce Blue Jay Way, une œuvre monstre, hallucinée, hantée par l’ombre de David Lynch, Bret Easton Ellis et John Fowles (comment ne pas penser au Mage en découvrant la destinée de Julien ?), et son meilleur roman depuis La mémoire du vautour.

Merci aux éditions Sonatine de m’avoir permis de découvrir en avant-première ce thriller, à paraître le 16 février.

Vous pouvez admirer quelques photos de L.A. ayant inspiré l’auteur sur cette page.

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3 commentaires

  1. ingannmic a écrit le 13-2-2012 à 16 h 37 min :

    Ce billet est vraiment tentant.
    Je n’ai lu de Fabrice Colin que “Or not to be”, dont j’avais beaucoup aimé l’originalité et l’atmosphère surnaturelle et angoissante..

    Je note ce titre !

  2. Julie Proust Tanguy a écrit le 13-2-2012 à 17 h 56 min :

    Il sort bientôt… Si vous avez aimé Or not to be, vous l’aimerez – et apprécierez sans doute les autres romans de Colin chez l’Atalante ou au Diable Vauvert. Bonnes lectures à vous !

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