De Litteris

28-2-2013

Flatland

Edwin A. Abbott - Traduit par Philippe Blanchard - Editions Zones Sensibles

Imaginez que le monde soit une feuille de papier. Dans cet univers gouverné par une logique mathématiques à deux dimensions, des figures géométriques sexuées  évoluent, nous présentant leurs physiologies (les femmes sont des lignes, les hommes des formes), leurs moeurs (misogynes, donc…), leur armée (des triangles bornés) leur religion (la foi parfaite de cercles-prêtres), leurs classes sociales (organisées selon un principe de segmentation), leurs idées politiques…

Dans ce petit monde peu à peu perturbé par l’arrivée de la couleur, un Carré en vient à appréhender la troisième dimension et fait trembler les fondements de cette utopie euclidienne.

Dans le cheminement de Carré, on peut lire une lutte contre le conformisme de la pensée ambiante et une défense de la liberté d’opinion – et, au-delà de la “fantaisie en plusieurs dimensions“, un pamphlet de la société victorienne et ses idées rigoristes (médiocre rôle de la femme, débats théologiques, remise en cause de la société de classes, lois naturelles discutables, moeurs de la communauté scientifique…). Ses aventures en Lineland le confrontent à la difficulté de décrire l’inconnu et de sortir quelqu’un hors de son espace mental : tentant d’expliquer à des créatures unidimensionnelles son expérience bi-dimensionnelle, il est amené à reconsidérer modestement sa propre “supériorité” et sa place dans les infinies possibilités mathématiques qui s’ouvrent à lui. En faisant le choix du relativisme plutôt que de l’empirisme, il touche à la modernité.

C’est dans cette deuxième partie – plus que dans la (plaisante) description de l’univers (fort cohérent) de Flatland, qui oscille entre pur divertissement et traité de mathématiques pour les nuls- que réside donc la réussite d’Abbott : créer un beau plaidoyer pour dé-segmenter nos modes de penser, mais aussi nos manières de lire, dans une recherche qui annonce – avec un siècle d’avance – La Maison des Feuilles.

Une fantaisie logique en forme de satire géométrique que n’aurait pas reniée Lewis Carroll, à offrir comme curiosa aux amateurs de science-fiction et autres lecteurs de contes philosophiques.

Superbe photo de couverture empruntée au site de l’éditeur – qui réalise, une fois de plus, un époustouflant travail graphique.

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