Génération X
Je découvre bien tard ce roman s’adressant à tout ceux qui auraient voulu naître dans les années 60/70, mais qui conviendrait tout aussi bien à n’importe quel trentenaire désenchanté, nostalgique d’une enfance où ne fleurissait pas les questions, où il n’y avait pas à tenter de comprendre et intégrer un monde accélérant trop vite pour soi.
A travers le portrait de trois personnages (deux hommes, une femme, appartenant chacun à la classe moyenne, ce qui permet d’autant plus de s’identifier à ces profils ordinaires), Coupland dresse le portrait d’une société qui passe de l’esprit hippie au libéralisme des années 80 et au désenchantement des années 90 (si bien décrit par Bret Easton Ellis dans l’intégralité de ses romans et par Chuck Palahniuk dans son Fight Club). C’est le traumatisme du Vietnam, la découverte de la culture (l’anti-culture ?) yuppie, l’écologisme baba-cool, l’esthétique pop, l’univers des drogues plus ou moins douces…
Autant de repères qui vont façonner notre trio et qui désenchantent la vision assez idéalisée qu’on tente de nous vendre des années 70 (surtout ces derniers temps, où elles reviennent à la mode, à travers la mode, justement), qui sont pourtant la décennie où naît ce tiraillement, très moderne, entre l’envie de se réaliser et l’envie de réussir. Déchirure parfaitement incarnée par nos trois anti-héros, qui refusent de « jouer le jeu » pour tenter de s’accomplir, succombant à la sucessophobie (« peur que le succès fasse oublier ses désirs personnels et rendent incapable la réalisation des désirs de son enfance ») et à l’ironie rotulienne (« tendance réflexe à faire, dans la vie de tous les jours, des réflexions ironiques sur un ton désinvolte »).
Mais, au-delà de ces repères historiques, c’est une véritable initiation au désappointement qui se dessine à travers ces trois trajectoires ayant biberonné à des slogans -qu’on dirait « soixante-huitards » si ces anti-héros étaient français – qui ornent les têtes de chapitres et les marges du récit : « acheter n’est pas créer », « les expériences achetées ne comptent pas », « la terre n’est pas un document ». Autant de phrases qui font sourire tant elles ont un goût de « c’était mieux avant »/ « nos parents s’en sortaient mieux » qui semble se transmettre de génération en génération -d’où le X du titre, sans doute, tant le passage de l’adu/o/lescence à l’âge adulte semble toujours se manifester par une longue quête de soi-même, marquée par une phrase d’impuissance face à la réalité, que nos personnages essayent de transcender à grands coups d’histoires racontées pour bannir la peur de vieillir et l’angoisse de ne pas comprendre un monde ne correspondant pas à ses slogans ou aux définitions qu’ils s’inventent pour tenter de le saisir (« catogan ramollo : membre de la génération baby-boom, d’âge mûr, fatigué par la vie et nostalgique des temps hippies d’avant la fatigue »).
On rit beaucoup avec et de Dag, Claire et Andy. On sourit à les voir ainsi lutter contre leur peur du futur, batailler pour tenter de donner une cohérence, un sens à leur vie, mais c’est un sourire plein d’appréhension tant il est facile d’y projeter ses propres angoisses, son propre rapport au temps et au monde et au temps qui nous filent, inexorables, entre les doigts.
Il y a bien quelque chose du conte initiatique dans ces « tales of an accelerated culture » tant cette impression permanente d’être né après l’âge d’or et de vivre dans une société hyper-active et trop rapide qui déconnecte l’homme de ses aspirations profondes, semblent être trans- générationnelles.
Si vous n’en êtes pas convaincus, lisez Homo Japonicus ou les articles qui paraissent régulièrement sur ces traders qui partent faire du fromage de chèvre au fin fond du Larzac, pour fuir la pression de leur travail… et fuient ainsi un modèle de société qui échoue et les éloigne de leur identité d’être humain. Ou lisez les réflexions du trio de Génération X : elles vous sembleront sans doute très modernes… ou, dans le pire des cas, vous feront passer un excellent moment « pop » et intéressant.