De Litteris

29-1-2013

Immense et rouge

Marie Chartres, photographies d'Akin Cetin - Editions Les inaperçus

C’est une voix qui se chuchote comme un conte, mais qui tisse, en piquetés rouges, l’après “ils se marièrent et eurent…” C’est une âme qui déploie, sous la féminité qui se craquelle, ses motifs fondateurs en chambre d’échos brisés. C’est une femme, prise dans le silence immense et rouge d’un mariage qui dissone avec les espoirs de ses livres d’enfant.

Ne lui reste plus qu’à “gaver le silence” de ses fleurs de mots aux pétales froissés de pourpre, pour dire ses mythes originels : la petite fille disparue sous le corps-fruit voué à faner (“elle est abricot. Elle a une pivoine rouge sang au milieu du ventre. Elle est un fruit, elle est une fleur. Bientôt pourri, bientôt fâné”); le ciel, immensité à écrire, qui s’acidule, “bleu bonbon“, ou se grisaille, infini cadavre ; le sang, flaque & “berceau” qui imbibe chaque souvenir, tantôt fleur de viscère promettant l’avènement du féminin, tantôt passé coagulé de terreurs ; l’oiseau qui, loin d’être le compagnon de la princesse de contes de fées, est cadavre, âme maternelle évanouie, memento mori berçant de ses ailes d’archange la narratrice.

Et la mort, la mort plus forte que cet amour déçu, la mort qui transfigure chaque promesse du conte : ballons blancs qui se font crânes envahissant les cieux, chaussure de verre de Cendrillon laissant apparaître, “corolle spongieuse“, un oiseau qui se décompose, ciel qui se chrysanthème, draps qui se font linceul, maison qui devient cimetière à mouches, coeur aimant dont on se rassasie comme d’une  “mangeoire à fourmis“, couteau qui se fait compagnon et menace de trancher “recto-verso” la jalousie…

Ne reste plus qu’à craquer, souffrir, et tenter de laver, dans les dissolvants et les mots qui ressassent et déforment les images, la tache originelle de la “naissance hideuse“, cette première promesse déçue faite par le monde, bien avant la découverte d’une féminité qui se révèle comme “un baiser bruyant entre les cuisses” ou le mariage, désiré “aussi rapidement qu’un craquement d’allumette“, mais qui n’apporte jamais cet éblouissement, ce règne des possibles que la jeune femme devinait aux creux des pages blanches des livres, espérant, inlassable, que “toute laide chose se passe” et que la vie serait semblable à un poème de Prévert (“immense et rouge/ au dessus du Grand Palais/ le soleil d’hiver apparaît...”).

A cette âme inquiète aux variations trouées de sang, aux intonations oscillant entre envolées poétiques émerveillées et émotions crachées, répondent, comme échos démultipliés, les photographies d’Akin Cetin. On y devine, en blasons ou silhouettes à demi-révélées, une autre vision inquiète de la féminité, entre violence et douceur, blancheur fantomatique et contre-jour. Qu’ils se parent de noir & blanc ou de couleurs fanées (vert jauni, rouge orangé, blanc sali), ses instantanés disent, par éclats, une féminité empreinte de nostalgie froissée, qui se heurte aux éclats brutaux du quotidien, et dont la délicatesse (peaux pâles, os saillant, corps ployé, gorge offerte, beau regard voilé, silhouette menue) peine à trouver cadre – les sujets semblent toujours décalés vers la gauche, comme cherchant une issue absente, une promesse d’ailleurs.

On ressort de ce poème symphonique à une voix (chant bouleversant par sa justesse musicale) et un regard (béant de tendresse, jusque dans ses trouées obscures) infiniment touché et troublé, sûr d’avoir croisé, à travers ce mince et délicat volume, un beau conte contemporain à chuchoter à voix basse.

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