De Litteris

2-4-2011

Inter

Pascal Quignard - Traduit par Pierre Alferi, Eric Clemens, Michel Deguy, Bénédicte Gorillot, Emmanuel Hocquard, Christian Prigent, Jude Stéfan - Editions Argol, - France

Tout commence par un poème en latin, inter aerias fagos. Dans cette langue solide crépitent de multitudes de sens, évoquant Orphée, la perte dans le langage, la confrontation avec la sauvagerie, et les thèmes dans lesquels s’engouffrera toute l’œuvre de Quignard. Dès le titre (qui me rappelle la première bucolique de Virgile, avec ce Tityre allongé et contemplant le monde à travers la frondaison d’un arbre), le latin, synthétique, quand le français est analytique et choisit un sens plutôt qu’un autre, condense de multiples sensations et pulvérise son lecteur d’évocation en évocation. C’est un superbe grondement sonore où la langue se déploie, violente, puissante, « tracta et fluens », comme le dit ce cher Cicéron.

Charge aux traducteurs, alors, de trahir quelque peu la langue originelle pour créer une Babel de compréhension et de translation et réunir ce qui s’avère être un  « cut up qui accole des citations éparses d’auteurs divers, tous à la file, par équivalences ». Parfois, le latiniste confirmé est doublé d’un poète, qui redouble le poème originel de sa propre voix, le trahit pour mieux le héler vers une autre perception du Verbe. C’est tantôt l’appel de sens entre les mots qui est privilégié, leur polyvalence, tantôt plutôt le rythme emballé et terrible du latin qui est mimé.

C’est un très beau livre que ce recueil de traduction, une belle caisse et quête de résonances qui m’a fascinée : s’imbiber quelques heures dans cet ensemble de voix qui s’appellent et se répondent provoque de curieux étourdissements, une chorale où les dissonances, ou plutôt les harmonies divergentes des différentes voix, bourdonnent jusqu’à former un nouvel ensemble, indistinct, un poème palimpseste de tous les autres (latin & français mêlés), dont on peine à saisir tous les fragments.

Les poèmes sont encadrés de deux beaux documents qui les illuminent : une lettre de Quignard à Bénédicte Gorrillot, qui éclaire la démarche du poème, ses abîmes intérieurs, et sa volonté que le chant se fasse écho du son originaire. C’est une voix pleine de douceur et de retenue, qui procède par lents déchiffrements, par murmures, qui parfois s’emballe en saccades passionnées. On y suit le squelette, non, les ondes du poèmes. Petit à petit, le ton d’explication s’efface et la prose se fait elle-même poème, écho du poème dont on n’a fait qu’effleurer la silhouette promise.

En conclusion, B. Gorrillot revient sur « le fatum déceptif de toute traduction et de toute écriture » et compare les diverses traductions, les choix de sens et de rythme opérés, dressant des ponts imaginaires entre les deux langues et méditant sur l’exercice de traduction. En offrant des « didascalies » à ce mariage fécond entre latin et français, elle redouble à nouveau la symphonie de voix qu’on vient à peine de quitter.

Un livre splendide, à lire à voix haute, dont le vocabulaire délicieux se rumine à plaisir : terrisonus, solivagus, irascens…

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