Isabelle, à m’en disloquer
Performance poétique, performance amoureuse : s’il fallait présenter en peu de mots l’ouvrage de Christophe Esnault, ce serait sans doute ces expressions en écho qui prévaudraient. Isabelle à m’en disloquer est la célébration d’une double passion : celle pour Isabelle, l’amante, l’aimée, celle pour la langue, l’aimante, la disloquée.
Entre ces deux fébrilités, la langue chair mime, dans ces rythmes comme dans sa mise en page (saluons ici le –très impressionnant- travail de composition transformant le poème en objet littéraire de toute beauté), les essoufflements asthmatiques des amants, leurs contorsions frénétiques. Mots aux syllabes légèrement décalées (pour mieux en déployer les trésors d’invocations), phrases/chiffres-calligrammes formant cœurs et corps, jeux de mise en scène mimant le sens ou faisant surgir, du texte, paysages et portraits, changements de caractères transformant le poème en rendez-vous pictural… Aimer et écrire, semble souffler Esnault, c’est participer du même mouvement de ploiement : on se plie et plie aux mots comme l’on fait ployer le corps de l’autre.
On « prolong[e] l’étreinte en confiant les doigts au hasard des pages/poésie quintessence de l’amour/dans les accents de ta voix qui égrènent les syllabes/ po-é-sie comme une seconde peau/une enveloppe qui nous unit l’un à l’autre ». L’amour, la poésie, deux possibilités d’union pour les amants. Le texte se fait alors dialogue, engagé autant avec l’Autre, l’Aimée, incrustée vive dans le texte (« écrire ensemble surpasse le plaisir charnel »), qu’avec les œuvres-sources (le beau 4 :48 Psychose de Sarah Kane, les ombres de Grisélidis de Réal et –furtive- de Marguerite Duras, les nénuphars et les univers poétiques de Boris Vian, sans compter les rappels musicaux, qui doublent le rythme du poème de leurs propres mélodies, en écho).
Le poème, comme l’amour, se construit donc en échos (Isabelle est le prénom de l’amante mais aussi de la sœur, de la première expérience… « toutes les femmes »), en duels ou en duo (femme/littérature, voix de l’aimée/voix de l’amant), transformant une histoire individuelle en mythe et en infini amoureux, transcendant une expérience tant de fois chantée en littérature en expérience littéraire unique. Et c’est de cet incessant travail de dualités/dislocations fusionnées (texte/corps, amante/amant, inspiration/création) que semble jaillir la curieuse harmonie d’Isabelle, à m’en disloquer : Christophe Esnault, en faisant éclater les possibilités d’une langue devenue chair, livre véritablement (ainsi qu’annoncé dans les premières pages) une per-formance, c’est-à-dire une forme achevée, un accomplissement tant littéraire qu’amoureux.
Un texte fascinant et non dénué d’humour, ce qui ne gâte rien, à lire à voix haute et à distribuer autour de soi.
Vous pouvez en découvrir des extraits sur le site de l’éditeur.