L’amour ne rend pas la monnaie
C’est avec plaisir que je me suis plongée dans le deuxième livre de l’auteur d’Isabelle, à m’en disloquer. Ces nouvelles mordantes lui offrent un méchant pendant : foin d’amour créateur ici, mais une galerie de désirs inassouvis, de frustrations, de moments de bascule, de fantasmes déçus et de pulsions sans relais.
On est loin de la grâce d’un amour pur vécu à deux (à part, peut-être, dans cette belle photographie qu’est «blottis »): ici les personnages croqués, mordus sur le vif, trahissent, espèrent, subissent, rompent, se débattent dans les carcans de l’entreprise comme contre les images fantoches d’un amour transformé en épreuve grand-guignol par la société « moderne » – on gardera longtemps en mémoire ce portrait de l’amante en amatrice de Mike Brant, ce destructeur de boîte aux lettres, cette amatrice d’eau (froide) ou ce concours de la couverture de Libé…
Christophe Esnault esquisse au fusain une galerie de pitres magnifiques, aussi rageurs que dépressifs, qui peinent à vivre – on ne pense même pas à sublimer- leurs désirs et transmuer leurs obsessions en amour. Sans verser dans la caricature, malgré l’énormité de certaines situations, il parvient à camper des tranches de vie justes malgré leurs mensonges, griffant au passage les amours misérables, les psychologues incompétents, les hypocrisies quotidiennes. On sourit de ses silhouettes d’incompris esseulés à côté de la plaque (« changer l’emballage », « les filles solubles », « beau comme un dieu », « en théorie »), rit franchement des hurluberlus (« la déclaration », « l’immaturité du doryphore », « le seul livre valable »…) et apprécie l’ironie tranchante de la plupart des situations (à tendance neuroleptiques, obsessionnelles ou psychiatriques) et leurs chutes vengeresses (« généreuse », « un homme trop prévisible »). Ca et là, quelques pointes douloureuses (« l’amour ne rend pas la monnaie », « un constat tragique », « le sablier retourné », « l’abandon pour cadeau », « survivre à un amour ») et l’expression aiguë du désir (« les femmes sont une maladie », « je veux finir le restant de mes jours avec elle ») ravivent la véracité de l’ensemble et apportent un contre-point juste à ce qui pourrait paraître un festival de figures grotesques.
Cette galerie de plaisants loosers présente toutefois un bémol : l’ensemble est frustrant car bien trop court, le format imposé par la collection n’ayant pas permis l’accès à l’ensemble des 448 nouvelles (hommage à Sarah Kane, sous l’égide de laquelle s’était déjà placée Esnault pour sa performance poétique) élaborées par l’auteur.
Bémol, également, à l’éditeur, qui n’a pas mis en valeur le texte autant qu’il le méritait : mots tronqués, mal coupés, et mise en page très classique quand le travail de textes-clichés réalisé par Esnault aurait mérité une mise en texte plus élaborée, sous forme de vignette.
Il ne me reste plus qu’à espérer un beau succès à cette édition numérique pour accéder un jour à l’ensemble des textes !
Vous pouvez télécharger le recueil ici et découvrir la bande-annonce du livre au même endroit.
Livre offert par l’auteur : grand et sincère merci !
2 commentaires
J’en ai à peu près pensé la même chose que toi comme je l’ai dit dans mon billet sur mon blog. http://lepandemoniumlitteraire.blogspot.fr/2012/03/lamour-ne-rend-pas-la-monnaie-de.html
J’ignorais que ces nouvelles faisaient partie d’un ensemble beaucoup plus vaste, mêm si je sais l’admiration de l’auteur pour Sarah Kane.
Pour ma part, ça a été une lecture agréable mais j’attends quelque chose d’un peu plus consistant de la part de Christophe Esnault : dans le prochain livre peut-être…
J’avais lu ta juste chronique !
Je “triche” un peu : j’ai eu l’occasion de parler du recueil avec lui au salon du livre, ce qui a orienté ma relecture. Les nouvelles que tu as trouvé trop courtes (notamment celle en une phrase) ont été coupées… J’aimerais donc vraiment bien lire l’ensemble du projet !