La nuit sans fin
J’ai découvert ce mince recueil en me perdant sur le très beau blog de son auteur, Locus Solus – beau par son esthétique sobre surmontée d’un détail de la bibliothèque de ce cher Nemo, et par son contenu, tout de curiosités esthétiques, d’anglomania ne pouvant que me plaire et de miscellanées littéraires réjouissantes.
Intriguée par ce morceau d’univers élégant, j’ai souhaité me confronter davantage à la plume de ce cueilleur de merveilles. La nuit sans fin propose « sept histoires pour occuper le jour » aux tonalités variées (fantastique, policier, humoristique), dont la principale constante semble être l’envie de s’amuser avec la littérature en général et les genres littéraires en particulier, comme pouvaient le faire un Borges ou un Cortazar.
Horguelin semble être un lecteur amoureux avant même d’être un auteur –affirmation qui n’enlève absolument rien à l’efficacité de sa plume, qui sait parfaitement camper des atmosphères captivantes (je pense au fabuleux dédale du Trou du souffleur) et générer un rythme prenant (particulièrement nécessaire dans Le contretemps et son jeu de coïncidences ratées). L’écriture se fait art du pastiche, dans La Nuit sans fin (savoureux mélange dont on s’amuse à retrouver les inspirations), célébration du caractère obsessionnel du (grand) lecteur (le collectionneur du Grand Transparent, le fan au regard acéré de L’homme à l’anorak jaune et, dans une moindre mesure, le héros de La Nuit sans fin, qui nous balade à travers ses univers de prédilection), réflexion sur les rapports entre fiction et réalité (L’affaire Dieltens, L’homme à l’anorak jaune)…
C’est donc un portrait de lecteur qui se dessine en creux de l’auteur, caractérisé par un certain amour du détail, une fascination pour le bizarre et la frontière rendue parfois si floue entre réel et création. L’écriture fait alors office d’enquête – les références au polar sont d’ailleurs omniprésentes- autour de ces flottements: comme les personnages de ces sept nouvelles, le lecteur est amené à creuser réel et fiction, pour les démêler ou comprendre combien et comment ils se sont contaminés. Il lui faut devenir aussi paranoïaque que le héros de l’Ennemi, attentif comme celui de L’homme à l’anorak jaune, pour déceler les moments de bascule de ces sept récits et les références qui les jonchent et parvenir à séparer le vrai du faux (L’affaire Dieltens). En insistant, à travers chaque texte, sur l’importance du passage (du réel à la fiction, du rêve au réveil, du présent au passé…), Horguelin célèbre le pouvoir de fascination et de création de la lecture.
Est-ce pour cela que Le Trou du Souffleur me semble la nouvelle la plus aboutie du recueil ? Mettant en scène un homme qui décide de basculer volontairement dans la fiction (ou dans un passé littéraire si glorieux qu’il finit par ressembler à une histoire) en se laissant enfermer sous une scène de théâtre, le texte amuse le lecteur, qui joue volontiers à se perdre dans ses labyrinthes de clins d’œil et dans le fantasme réalisé de son héros, autant qu’il le touche en lui montrant que, s’il s’approprie le texte, le texte s’empare tout autant de lui.
Un recueil de nouvelles qui se dévore avec délectation, auquel on pourrait simplement reprocher d’être trop court pour nos voracités littéraires… !