De Litteris

27-9-2011

Lanark

Alasdair Gray - Traduit par Céline Schwaller - Editions Métailié

Le livre s’ouvre sur une superbe gravure dans un style rappelant celui de William Blake : un arbre de vie et de mort, au tronc formé d’un couple s’allaitant aux mamelles d’un dragon porteur d’étranges univers, un visage aux yeux morts et une silhouette de créateur s’auto- créant, dessinée avec la précision d’une planche d’anatomie.

Passé cette porte infernale, le lecteur s’enfonce dans un livre aux curieuses subdivisions (les livres s’étirant dans une sorte de désordre organisé, III-I-II-IV, chaque partie étant introduite par des gravures programmatiques) où il suivra, tour à tour, un amnésique errant dans un monde privé de lumière où les malades se transforment en dragon et un jeune artiste asthmatique atteint d’eczéma, aux amours puérils déçus et à l’art désespéré et fou. Charge à lui de trouver comment les livres relieront entre eux ces deux figures tragiques – à moins que l’auteur, en Créateur divin et narquois, décide d’intervenir lui-même dans son texte pour expliquer au lecteur et futur critique de quoi il retourne.

Je suis un peu embarrassée par cette lecture : l’ouverture était plus que prometteuse et fascinante, toute de non- sense carrollien, mais peu à peu le livre se boursoufle et s’essouffle, pour repartir de plus belle, une cinquantaine de pages avant la fin, une fois l’auteur entré dans sa propre œuvre pour piétiner tout le travail de re-création propre à la lecture, en un grand pied de nez qui prête à sourire. Quoique Gray objecte lui-même, lors de sa rencontre avec son personnage, avoir voulu jouer des codes du roman d’apprentissage bourgeois, qu’il joue plaisamment le jeu de l’auto- critique et qu’il dévoile les aspects méta-littéraires de son œuvre en listant toutes ses inspirations et ses plagiats, j’ai eu l’impression d’assister à une sorte de rattrapage in extremis de l’intérêt de sa production plus qu’à une véritable percée de modernité –celle que j’attendais, avide, impatiente… exigeante ?

J’imagine l’accueil critique enthousiaste lors de la sortie du livre dans les années 80 ; le comprends un peu moins lors de sa traduction en France vingt ans après ; ne peux le partager aujourd’hui. C’est un livre qui vient trop tard dans mes lectures – et devrait, si les critiques littéraires avaient une vision plurielle de la littérature, autrement dit, s’ils consentaient à ne pas considérer la SF comme une non-littérature ou s’intéressaient aux marges, venir « trop tard » pour eux. Le modernisme dont on veut parer Larnark dans sa quatrième de couverture est moindre, dans les années 80, face à celui d’un de ses confrères de l’école de Glasgow, Ian M. Banks, qui, sur un thème similaire, livre avec son ENtreFer , un véritable brûlot, face aux expériences délirantes d’un BS Johnson (dont l’excellente biographie et bibliographie sont toujours disponibles chez Quidam), ou, plus « célèbres » et fondatrices, face aux œuvres de Joyce, Kafka et Borges.

Il ne devrait pas, dans les années 2000, paraître « inattendu » (ainsi qu’il est qualifié par Le matricule des anges), « extravagant » (Télérama), « fondement et sommet » (Libération), alors qu’à la sagacité des critiques étaient proposées, depuis belle lurette, les oeuvres de Volodine, Ballard ou La Maison des Feuilles (je suis injuste : celle-ci venait tout juste de connaître l’impeccable traduction de Claro).

Que dire alors aujourd’hui, quand on peut lire Chevillard ou Marge occupée (opus lu deux jours après avoir fini Lanark et qui a apaisé toute déception liée à l’œuvre de Gray) ?

Qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions : par certains aspects, Lanark reste de bonne facture, surtout dans ses parties hésitant entre fantasy et SF apocalyptique, qui, ainsi que je l’ai dit plus haut, ont une écriture véritablement intéressante quand elle s’emporte dans des délires carrolliens ; pour les parties plus « réalistes », voire naturalisantes, décrivant la douleur de la vie d’artiste, elles ne me semblent pas apporter grand chose de plus que, par exemple, L’œuvre d’un Zola.

Mon problème de lectrice égocentrique réside sans doute dans le fait que j’en espérais plus qu’une lecture « historique », intéressante par certains aspects, soit, mais datée… Je ne conseillerais donc ce livre qu’aux lecteurs « vierges » des auteurs (post-)modernes que j’ai cités plus haut et qui n’auraient pas peur de l’aspect « verbeux » de ce roman. Aux autres, je préconiserais plutôt une (énième re)lecture de La Maison des Feuilles ou la découverte, pour les amateurs de science-fiction transfictionnelle (*), du diptyque Velum et Encre d’Hal Duncan chez Denoël (collection Lunes d’encre).

(*) à ceux que cette expression intrigue, je vous invite à découvrir le –brillant- essai de Francis Berthelot, Bibliothèque de l’Entre-mondes, paru en Folio SF, qui s’attache à définir cette esthétique de l’entre-deux sous laquelle on peut réunir Ballard, Buzzati, Cortazar…et qui évoque d’ailleurs rapidement Lanark.

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