De Litteris

18-3-2012

Le tremblement

Lionel- Edouard Martin - Editions Arléa

« 12 janvier 2010 , Port-au-Prince. La terre tremble. Un pays tout entier s’effondre ». L’événement tient en une poignée de mots, secondes-syllabes rudes comptant bien plus de morts qu’une expérience de vie « normale » ne devrait en contenir.

Lionel- Edouard Martin donne à lire un récit sensible, humain, pudique, hanté par l’urgence de dire, de mettre de l’ordre dans le chaos d’une langue-humanité hébétée, réduite à rien, privée de la « chair » verbale à laquelle l’auteur se livre habituellement. En encerclant dans son texte les fatales secondes et l’étirement hébété du temps qui a suivi, en disant tant le temps de la survie que celui de l’acceptation de l’irrémédiable, en mettant en scène le processus de reconstruction de son être à travers le texte, il se livre autant au témoignage de ce qu’il a vu qu’à une course-refuge dans la langue, cette langue qui porte en elle les fantômes, les vestiges des paysages aimés, les souvenirs du temps d’avant, et dématérialise ce réel qu’on ne peut plus tenir à distance, ce réel qui écrase et fait trembler les corps.

Que peut l’écriture, quand l’humain est rappelé à ses origines étymologiques, enseveli sous l’humus qui lui a donné naissance, perdu sous les décombres le privant de son statut d’être debout, vivant ? Que peut la littérature face à une humanité secouée, perdue dans une stupeur tragique, réduite à sa part instinctive ? La mort libère-t-elle une forme de conscience esthétique ? Peut-on organiser une telle expérience selon les mêmes principes qu’un roman ? Pourra-t-on trouver la boucle, le cycle qui enclora l’expérience, transformera la langue tremblée en langue pleine, sonore, à nouveau ?

Le Tremblement se lit comme une profession de foi dans la toute-puissance de la littérature. Ecrire, pour passer dans la syntaxe l’ébranlement du corps, les spasmes de l’âme ; faire de l’écriture un rituel de restauration de l’âme, un tranquillisant dans l’obscurité du réel. S’emmailloter, nourrisson, dans le texte pour se refaire être cyclique, forger la boucle de mots qui transmue, enclot, résorbe les plaies-fractures, ré-accouche d’un nouvel être, d’une nouvelle langue. Trouver, dans l’observation de l’infime et l’attention particulière à la langue (« tant d’hommes, tant de femmes qui courent, ont couru, c’est un concours, pas une foule » ; «ce mot, “tremblement”, si plein de “e” qui est, dans un autre livre, le signe de la Disparition, mais où j’entends aussi cet “eux” que, ce soir-là, plus rien ne pouvait exprimer, dévorés par la terre» – ce « e » ironiquement cassé dans le clavier de l’ordinateur que l’écrivain pense à sauver), des raisons de résister à l’étirement de l’angoisse. Trouver, à travers les écrivains présents pour le festival Etonnants Voyageurs, une fraternité dans la langue, cette langue qu’il faudra plus tard tailler en requiem pour pouvoir mettre à distance l’impuissance, les spasmes, les cicatrices, et naître une seconde fois de la terre, de sa chair-verbe.

De ce chant sépulcral s’élève un texte essentiel, humain, bouleversant, « leçon » d’humanité autant que de littérature.

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