L’ombre s’étend
L’ombre s’étend : la formule porte en elle l’explication que le compositeur finlandais Jean Sibelius donna de sa sixième symphonie et un aperçu des dernières années de sa vie.
Nicolas Dyon dessine, à travers elle, à touches sensibles, le portrait d’un compositeur silencieux, engoncé dans son passé, confronté à la perte de ses capacités créatrices et à son inaptitude à entrer en correspondance avec son époque : comment créer en temps de guerre ? Comment épouser la modernité d’un monde qu’on sent voué à l’ombre et à la déréliction ? Vaut-il mieux renoncer à créer plutôt que de ne pas savoir épouser le souffle du monde ? Faut-il détruire son œuvre plutôt que de n’être que le pâle reflet d’une ère déchue ?
Son Sibelius sent le vide l’envahir, comme la neige estompe, tout autour de lui, la nature sensuelle qui a nourri son œuvre ; comme le blanc contamine le paysage, l’esprit, les pages. Son compositeur « de l’époque d’avant » interroge la longévité de l’acte créatif (un artiste peut-il partir à la retraite ?), ses origines (le besoin de créer est-il physiologique ?), ses limites et la difficulté de devoir incarner un mythe, d’être l’âme d’une nation, le traducteur de son patrimoine.
Et les saisons passent, porteuses du bilan d’une œuvre-vie, qui peu à peu lui échappe, porteuses d’autres voix, celle de sa femme, maîtresse du quotidien, tricoteuse de bien-être, force de vie, goûteuse de présent, et celle de sa fille, inquiétude portée en héritage ; voix qui disent tant la difficulté de vivre avec un créateur, que le tiraillement déchirant l’artiste entre quotidien et pensée élévatrice.
Et les saisons, ces connexions romantiques entre nature et état d’âme, vident peu à peu le créateur des derniers reliefs de sa substance, jusqu’à ce qu’il s’efface, cycle achevé, ne laissant plus derrière lui que l’écho de ses notes.
C’est un beau projet que porte ce premier roman – intrigante entrée en littérature que celle qui interroge la fin d’un créateur ! Et l’écriture, quand elle est descriptive ou introspective, l’est tout autant : Nicolas Dyon tresse une partition musicale sensuelle en écho à cette nature lyrique imprégnant l’œuvre de Sibelius : il n’emporte jamais tant que dans ses peintures, musicalement justes, de la forêt et des promenades du compositeur vieillissant, notamment dans le quatrième chapitre où Sibelius, observateur, retrouve dans la végétation qui berce ses pas l’origine de ses interprétations du Kalevala.
La mélodie interne du récit est parfois bancroche – défaut de débutant ?-, tant dans sa construction (brusque passage à la première personne singulier, qui, narrativement, s’explique mal ; volonté didactique parfois un peu trop appuyée de se faire guide à travers l’œuvre de Sibelius) que dans les dialogues, tantôt trop littéraires, tantôt d’une simplicité un peu affectée – quoiqu’ils rendent ainsi bien compte du décalage entre temps d’introspection et rappel du quotidien, ils sonnent souvent maladroits.
Malgré ces quelques défauts, il y a, dans L’ombre s’étend, une voix qui, hésitant entre construction classique et échappées lyriques (qu’on souhaiterait plus nombreuses, plus sauvages encore !), a un univers littéraire à défendre… et à lire.
Livre reçu en service de presse.