De Litteris

4-4-2011

Métamorphose en bord de ciel

Mathias Malzieu - Editions Flammarion

Appréciant énormément l’univers délirant de Mathias Malzieu (tant ces précédents romans & recueil de nouvelles que le texte des chansons du groupe Dionysos) et sa plume contorsionniste, je me suis jetée comme une goulue sur son dernier opus, réclamant à hauts cris à mon libraire la version copieusement illustrée et élégamment reliée de toile rouge. C’est cette fois-ci un cascadeur « raté » (une sorte de Pouf – pour ceux qui aimeraient les Robins des Bois- version casse-cou tragique), Tom « hématome » Cloudman qui sert de personnage-support à l’imagination débordante, gargantuesque, de Malzieu.

A bord de son cercueil à roulettes, il sillonne les routes d’une Europe imaginaire, qui se régale de ses chutes et applaudit pour couvrir le bruit soyeux de ses os qui s’écrasent. Cette série de clowneries s’achève à un tournant dans un fracas d’accident de voiture et l’entraîne dans un triste hôpital où, dans la blancheur anesthésiante des couloirs hantés de blouses, il découvre qu’il est l’hôte malheureux d’une tumeur-betterave, le condamnant à une fin de vie clouée, sans aile, sans air, dans un lit-miroir. A moins qu’une métamorphose, offerte par une envoûtante femmoiselle, ne le sauve de sa carcasse humaine…

En lisant ce résumé, on a envie de crier : « conte », « Tim Burton » ou de fredonner des chansons de Dionysos tant le récit ramène en échos amis certains couplets (on y retrouve notamment le sanglophone de Giant John, des clins d’œil aux Pixies et à Johnny Cash, et on ne peut que penser à l’imaginaire ailé de Ladybird, Coiffeur d’oiseaux ou de Broken Bird). Il est vrai qu’il y a une dimension initiatique dans cette métamorphose d’un être transcendant sa douleur en beauté, pliant la maladie aux contours de ses rêves, traversant l’obscurité pour mieux s’élever. Le rythme du récit lui-même suit le schéma d’un conte. Il est vrai qu’il y a quelque chose de Tim Burton, celui d’Edward aux mains d’argent (sans doute son chef d’œuvre absolu), dans cet être inapte à la société « normale »/ « naturelle », qui, ne pouvant s’insérer dans une destinée, une profession « normale », va préférer l’élan, l’art, la bizarrerie, usant de ses sauvages différences pour la distraire, mais sans parvenir à s’y intégrer ou à s’en faire aimer. Pour Edward comme pour Tom, un seul salut, l’Amour, même bref, une seule solution, la fuite.

Mais au-delà de cet imaginaire survolté où dreamoscope, canaris rouges nommés Michel Platini, enfant lune et autres femme Endorphine s’entrelacent pour nous ramener à ces univers enfantins où tout semble encore possible (il n’y a qu’à voir la diversité d’interprétations et de mises en scène qu’ont choisi les peintres et plasticiens qui se sont unis pour illustrer l’œuvre), au-delà, même, de ces terribles pages de lutte contre la maladie et d’espoir de renaissance, au-delà, donc, de ces thèmes prenants et de ces univers en forme de caramel à suçoter pendant des heures, ce qui me rend chaque livre et quasiment chaque chanson de Dionysos gouleyantes, c’est la langue de Mathias Malzieu. A la fois survoltée –comme le chanteur sur scène- et murmurante, gourmande et vorace, caressante et électrique, c’est un véritable bonheur de lecture permanent. Les mots, sons et images, pétillent, invitent, se panachent de sentiments que n’importe quel tâcheron ou pisse-copie transformerait en glue imbuvable : mais, chez Malzieu, on est dans la réinvention permanente, la surprise, la danse. C’est un petit festival à part entière, cette langue contorsionniste, comme les concerts de Dionysos sont de véritables infusions d’énergie, nectar d’ambroisie, de joie et de poésie. On s’y baigne, goulûment, dans la langue français qui se pare de toute la magie des contes. Peu importe, presque, les personnages aux destinées flambantes et rêvées, du moment qu’ils sont servis par ce robinet de mots en transe, qui lutte contre la colle des mots quotidiens et tente, sans cesse, d’en extirper l’émerveillement joyeux de l’enfant pour qui le langage qu’on découvre est la plus belle des fées…

Un roman-poème, bondissant, attendrissant, apportant son lot d’émerveillement et de sourires, à lire absolument dans sa version collector aux estampes souvent fort réussies, dont les styles divergents complètent très agréablement la lecture (mention spéciale aux œuvres de Victor Jaquier, Nicoz Balboa, Barbara d’Antuono et de Benjamin Lacombe).

Vous pouvez en apprendre plus sur la conception du livre sur ce site.

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