Pas d’ici, pas d’ailleurs
Il serait si facile de réduire ce beau volume à quelques chiffres impressionnants, mais nécessairement réducteurs : 222 textes, signés par 156 poétesses contemporaines, plus de 300 pages de verbe étincelant consacré au nomadisme, jaillissant depuis 14 pays francophones.
Quatre courageuses anthologistes (Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli, Aurélie Tourniaire) qui, sans compter leurs heures, ont établi cette constellation de vers à sept branches symboliques (sous les cieux de l’errance, dans les flots du temps, au royaume des ombres, sur l’île de la nitescence, dans les contrées de l’intime, vers les caps de l’imaginaire, sous une voûte de voix et d’encre), qui prolonge le merveilleux travail de la revue Terres de Femmes (sans doute l’un des plus beaux sites poétiques existant aujourd’hui).
Ce serait si facile. Et si réducteur, tant il y a là un travail exceptionnel, essentiel, fondamental, digne de nombre de superlatifs respectueux et enthousiastes.
Pas d’ici, pas d’ailleurs propose une déclinaison de voix essentielles, celles des grandes absentes de la plupart des anthologies contemporaines, celles de ces poétesses que l’on efface ou que l’on oublie si volontiers, réservant le peu d’or projeté aujourd’hui sur la poésie contemporaine à quelques hommes. Nul militantisme forcené derrière ces étoilements de voix, nulle tentative vaine de cerner une certaine spécificité de la poésie féminine (ne serait-ce pas la réduire, que de vouloir l’enfermer dans quelque caractérisation maladroite ?) : une simple et belle remise en lumière. Un rassemblement fécond. Une cartographie de la richesse poétique contemporaine.
Elles sculptent des blancs mallarméens, elles pétrissent le rythme, elles forgent des voies narratives, elles jonglent des mélodies, elles glanent la beauté du monde, elles errent le verbe hors frontière, hors sexe. Elles pluralisent une même langue, qu’elles détrempent parfois d’autres vocables-territoires, elles disent l’infinité des chemins de l’intime et de l’autre, elles étrangent le familier et apprivoisent le dehors. Elles maçonnent l’encre en fumées de sons, elles expérimentent les recoins saillants du verbe et les contours fuyants des silences. Elles brassent l’imaginaire contemporain comme les figures d’antan, elles convoquent l’hors-temps de l’enfance comme la modernité brutale, elles disent l’arbre, le ruisseau, l’océan agité comme l’amertume du béton et la solitude des villes. Elles traversent les ombres errantes comme les rayons frêles, dévident le glossaire des soupirs comme des cris rieurs. Elles rapiècent le conte au réel, l’absence et la présence pure, le corps et ses fantômes, le chant et la matérialité des choses. Elles salivent les ruines, elles ébrèchent l’enfance, elles tessonnent le proche, elles étoilent le lointain. Elles lyrisent, elles assènent, elles effacent, elles ressassent, elles fissurent, elles faillent, elles lient, elles renouent, elles brisent, elles griffent, elles biffent, elles incantent, elles suggèrent, elles élancent… Elles-poésies.
Sous la pluralité des voix, la langue française, étrangère, familière, dit leur identité profonde, dit leur communauté, bien au-delà des frontières et du temps (étranges textes à la fois intemporels et contemporains !): celles de nomades du verbe, celles d’errantes éveillées à travers la langue. Peu importe alors qu’elles se réclament d’une origine, d’un temps, d’une enfance, de certaines influences poétiques, elles ont toutes la même patrie, cet amour de la langue qui, chevillé à leurs âmes, leur dessine des corps d’encre et de papier. Peu importe, même, qu’elles soient femmes, seule compte l’infinité de chemins et de voix qu’elles nous proposent, comme autant de portes d’accès à notre intimité de la langue, à notre conscience du monde.
Les anthologistes l’ont bien compris qui, intelligemment, les ont rassemblées sous la bannière, non de leur féminité, mais de ce nomadisme fondateur, thème condensant la modernité dans toute son altérité et sa pluralité, élan qui transcende les pulsations poétiques contemporaines. Qu’elles soient vivement félicitées et remerciées, et avec elles toutes ces voix d’exception qui font émerger, au fil des pages, la lumineuse évidence de la nécessité poétique.
Merci, oui, merci pour cette anthologie essentielle et élévatrice, qui doit prendre place dans toute bibliothèque d’amoureux de la poésie et de la langue française, et qui m’ouvre de belles pistes de découvertes.
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Vous pouvez commander ce précieux volume chez votre libraire ou sur le site de l’éditeur.
Trois rencontres d’exception sont organisées, pour ceux qui souhaiteraient entendre ces merveilleuses voix :
* le 30 octobre 2012 à Lyon (bibliothèque municipale du 2e arrondissement).
* le 31 octobre 2012 à Paris ( librairie La lucarne des écrivains)
* le 9 décembre 2012 à Montréal (librairie Gallimard).
Plus d’informations sur la page facebook de l’anthologie ou l’indispensable revue Terres de femmes.