Peaux de papier
Dès la couverture, un soleil de patchwork de papier veiné, annonce la tonalité du recueil : ici, on mue et on recoud d’encre les froissements d’une âme en clair-obscur.
Yasmina Teterel se dévêt pour nous de ces peaux-èmes, fragments fragiles à fleur de vif, expériences encrées qu’on incorpore et détache au fil des vers. Qu’elle évoque en jeu d’ombres la maladie (« qu’il est long ce matin/ dans cette chambre engourdie/ rythmée par le chant/ de ce ventre, tambour creux »), la tentation de disparaître (« et mes yeux ont tiré leur couverture. Ils avaient froid »), la douloureuse absence (« mon corps affaibli par tes absences/ s’usait sur les toits du monde / cherchant en vain le ciel de tes yeux / dans le regard des autres ») ou, au contraire, des instants où l’âme se retrouve en pleine lumière consciente, où elle se réchauffe à la lumière des rencontres (belle ombre de René Char dans Le marteau du maître– « la Sorgue, votre sang, nourrit la terre des hommes »- ou des cultures fécondes – « sur ta bouche j’ai lu/le livre de ton peuple »), la poétesse nous conte l’immanence de son être et de sa poésie.
Il s’agit de raturer, de rayer, de gratter les couches de l’âme et du poème, de froisser les tentatives pour les réécrire (« j’ai regardé la paume de mes mains, les coutures grossières, après chaque arrachage d’une page de ma vie, y étaient encore »), de multiplier les brouillons de soi et de vers (« je ne suis qu’un brouillon/ voyez ! Je m’efface/ Je... »), de remettre cent et cent fois sur l’établi-page la volonté de s’ex-primer, de se dire, de dire avant tout (« je veux aller là-bas/ là où le futur est passé/ là au centre. / Percer l’oeuf. / Ecrire »).
La voix n’hésite pas à se briser, à dire, malgré la noire souffrance, l’éternelle réinvention de soi (« elle voulait crier mais sa voix, déjà, ne lui appartenait plus »), la transcendance à travers les formes qu’on essaye comme des mues, tour à tour classiques, narratives, aphorismes, ou vers irréguliers comme des sanglots.
Seule compte l’exigence d’être sincère, de briser le règne des apparences (douloureuse Marie-Eye Liner dévorée par le clinquant idolâtre), au risque de heurter par une franchise brutale, écorchée vive (« si je me tue, tu m’en voudras toute ma vie ? »), que ne soutient que la foi en l’écriture, en ces mots nourriciers griffés à la sanguine, qui, décollant « les lambeaux de pleurs cornés », caressant les chairs meurtries, permettent à la poétesse de faire peau neuve et de s’élancer à la conquête de nouveaux vers.
Un petit recueil qui touche par ses fulgurances sensibles, à commander sur le site de l’éditeur.