De Litteris

23-8-2012

Reste l’été

Nicolas Le Golvan - Editions Flammarion

Un quarantenaire (en crise), l’été (et les plages de sable fin de l’île de Ré), le couple (et la difficulté de durer) : la trame narrative mince de Reste l’été repose sur des stéréotypes-châteaux de sable que font et défont les marées littéraires depuis l’avènement des congés payés. Peut-on se réinventer une vie, après s’être glissé, pantin consentant, dans le prototype du père en retrait, du mari-suiveur, de l’ami-déserteur ? Peut-on faire tabula rasa du passé après s’être fait le fantôme, l’ « usufruitier distrait » de son existence ? Sort-on jamais des symboles-jalons qui ont construit, parfois malgré nous, notre univers ? Et, pour l’écrivain, est-il possible d’introduire des grains de sable dans la mécanique bien huilée des « conte[s] cruel[s] sur l’amour » qu’ont déjà vanté tant de quatrièmes de couverture ?

L’auteur du génial Dachau Arbamafra offre, dans ce premier-roman-mais-deuxième-récit (pour reprendre la quatrième de couverture), une réponse de qualité à ces interrogations : si, aux éditions les Doigts dans la Prose, il avait proposé un anti-roman initiatique, impertinent et délectable, il propose chez Flammarion un anti-roman de plage et surtout ce qui me semble être un anti-roman de la rentrée littéraire – tout aussi joyeusement impertinent et délectable.

Les codes du roman intimiste à la française sont là, submergés par une ironie doucereuse : le personnage principal, fantôme de sa propre vie, âme molle et imprécise, s’offre une parenthèse dans la « panoplie du bonheur familial » qu’on lui a demandé d’habiter et, laissant repartir sur Paris femme et enfants, fait de l’île de Ré le théâtre défaillant de son introspection et du bilan de sa vie : l’abandon du père, qu’il reproduit symboliquement, la défaite avouée de son mariage, incapable de transcender l’héritage millénaire de l’entité « couple », la paternité défaillante, le statut-cliché du professeur amateur de « roman japonais obèse »… Il enfile toutes ces petites perles de l’intime, aux reflets usés par trop de romanciers, et tente de comprendre les différentes trames du storytelling (digne d’un «téléfilm français des années 80») qu’est devenue sa vie.

Et l’auteur de jouer à déconstruire son personnage, alors même que celui-ci peine à assembler les différents os structurant son âme. Quand ce « guérillero kitsch » de l’intime tente de partager des leçons de vie, c’est à grands renforts de formules ponctuées par des « c’est » (« c’est le complexe paradoxal de l’achèvement qui abat tout l’homme » ; « ici, être randonneur sous la dictature des deux-roues, c’est déjà un acte radical ») ou des « on » (« on n’avait pas pris la route, mais la plage, débarquant à contre-sens des héros par les sentiers des baigneurs » ; « on est que des touristes dans nos jardins, on se prend constamment en photo » ) qui, généralisant l’expérience, l’indéfinissent et renvoient le narrateur au stéréotype qu’il incarne – et non pas à l’archétype noble et sage qu’il voudrait être- et le dépouillent de toute substance. Fantôme entre les fantômes, il tente de survivre aux sables mouvants du narratif pour mieux s’y laisser engloutir.

Lui qui se voudrait héros, comme le signent les titres des différentes sections (« jour de gloire », « la longue marche », de guerre lasse », « traité de paix »), personnage principal, épique, mythique de sa propre existence, n’est qu’un « plagiste déchu », un « Sisyphe en bermuda », coincé sur l’île de Ré, dans le cycle infernal des vélos et des classiques des vacances. Il peut bien fuir les biclous et leur préférer la marche, son road-movie ne sera pas expiatoire : il restera coincé dans l’absence de perspectives de son île/Il, dans ses mots sans empreinte, ses cloisons métaphoriques, dans cette cabane-caveau de famille, incarnation du « tiers-monde de l’intime » dont il ne parvient pas à se débarasser…

…  tout comme une certaine littérature française s’engonce dans ses propres clichés, vidés de substance. Que reste-t-il de virginal dans ces situations tant rebattues, coagulées à l’extrême ? Peut-il y avoir une « traversée conquérante d’un territoire déjà conquis » ?

Oui, si on l’aborde avec « la décontraction d’un Pompidou en pagne de feuilles de bananier sur le tarmac de Pétaoune »… c’est-à-dire avec la plume ironique, juste, de Nicolas Le Golvan. Son sens de la formule se fait le grain de sable nécessaire à gripper les rouages trop familiers de ce type de récit et transforme le château de stéréotypes, construit à la pelle rose des sentiments « de mauvais lecteur de magazine de psychologie », en délectable pied de nez littéraire.

Il poursuit ainsi, avec ce deuxième-livre-mais-premier-roman, la construction d’un univers littéraire et d’un style tous deux jubilatoires. Un auteur à suivre, assurément.

Merci pour l’envoi !

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