De Litteris

28-2-2015

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J.J. Abrams, Doug Dorst - Editions Michel Lafon - Roman

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J’aime la littérature post-moderne : Danielewski, Gass, Claro, Vandermeer, Fresan, Jaffreux, Wallace, Bolaño, Vila-Matas… J’aime qu’ils détricotent la structure du roman et de la poésie, fassent exploser la langue en feux d’artifices, fracassent les genres littéraires et me retournent le cerveau. J’aime que l’on me tire de ma zone de confort, qu’on me fasse lire autrement – ce qui ne m’empêche pas pour autant d’aimer des romans à la structure plus classique, cherchant juste à ausculter le monde et ses possibilités.

Je n’ai pas acheté ce livre chez un bouquiniste par fétichisme/admiration/intérêt pour JJ Abrams (je n’ai pas dépassé deux saisons de Lost et, malgré mon respect pour Pacôme Thiellement et ses exégèses de la pop culture, n’ai pas réussi à être convaincue par l’ouvrage qu’il consacre à la série), mais par curiosité pour l’expérience qu’il promettait. C’est un bel objet, digne d’un accessoire de cinéma, avec ses mystères volants (serviette recouverte d’un plan, articles de journaux, télégramme, feuilles lignées d’étudiants, cartes postales, photos) : on se prend à penser avoir trouvé un livre dont vous êtes le héros d’une qualité supérieure.

L’illusion se dissipe vite : c’est une belle boîte à mystères, mais elle est bien vide. Le contenu singe certains procédés de La Maison des feuilles, sans comprendre que l’envahissement progressif de la page par des notes, chez Danielewski, démultipliait l’expérience de lecture, hantait le lecteur de questions angoissées, de références mimant la qualité schizophrène de l’oeuvre en cours. Ici, le seul vague mystère est celui de la chronologie dans laquelle ont été prises les notes, peu intéressantes, mal écrites (dans le sens où, je trouve, on ne croit pas à l’identité plurielle de ceux qui les prennent, tant l’auteur n’a pas fait d’efforts pour créer une voix spécifique à chacun des personnages : changer de couleur ne suffit pas…), faussement intellectualisantes pour certaines. Le mystère qu’elles tentent de cerner, celui d’un texte fade et d’un auteur faussement mystérieux (en tout cas, bien moins à mes yeux que le fabuleux Endsen créé par Pierre Cendors, auteur méconnu dont la bibliographie regorge de merveilles : lisez L’Homme caché !) ne prend jamais : le roman central, Le Bateau de Thésée, un pseudo-pastiche d’aventures politiques au début du XXe siècle, finit par se limiter aux citations soulignées/encadrées proprement par des étudiants en littérature qui ne se brûlent pas au texte et finissent par le réduire à un Profil d’une oeuvre/Que sais-je ? agaçant. Le processus de mise en abîme est donc raté, bâclé, et creux, et le jeu littéraire de réponse entre notes/annotations et texte inexistant. Les premières annulent le second et le privent d’existence.

Alors que la volonté de départ me semble être de louer les possibilités du livre (on peut se l’échanger, l’annoter, le contempler, en faire un objet-souvenir, un vecteur de rencontres), le résultat final me semble être, au contraire, une insulte à la littérature et à son support : ce dernier se limite à un objet qu’on peut triturer jusqu’à le priver de son sens originel ; quant à ceux qui s’échinent à jouer avec la langue et l’héritage de ce(ux) qu’ils ont lu, ils deviennent les jouets stériles d’étudiants plus absorbés par leur volonté de briller par leur savoir abscons, craquer des codes secrets et nourrir leur amour fantasmatique naissant… que par une lecture hantée par le désir d’élévation.

C’est dommage : avec de pareils moyens (financiers, publicitaires, ou tout simplement de braimstorming/storytelling à l’hollywoodienne), il y avait les moyens, non pas de faire un chef d’oeuvre littéraire, mais au moins une expérience interactive intéressante, un objet multimédia curieux, et pas une simple mise en scène parfaitement marketée.

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