Scènes étranges d’une enfance de garçon
C’est certainement là une des publications les plus singulières des Penchants du Roseau : un univers éclaté, diffusé au fil des livrets, celui de la confédération d’Ostwand, celui de la famille Erwaal. Quatre opuscules sont parus à ce jour : quatre tessons d’univers sombre, quatre accrocs d’intimité brutale, quatre écharpées-belles.
On lit ces textes comme des nouvelles d’un pays lointain, arrivant au compte-goutte. Chaque fragment propose une plongée décalée, étrange, dans un univers cohérent : Ostwand est un Etat totalitaire, raciste, violent, aux contours bien définis. La famille Erwaal en est un excellent représentant : ses émotions brutes sont le parfait micro-reflet de cet univers sombre.
Un premier livret, Objet onirique, en définit les règles intrinsèques : langue (l’Ostpaach), drapeau, histoire (formation & guerre civile), économie libérale, régime de ségrégation raciale, société militarisée avec sa milice de défense territoriale, jeunesses endoctrinées, éducation sévère encourageant les punitions corporelles… Les détails abondent, pour forger le réalisme de cette île dystopique, négatif de l’utopie de Thomas More.
Puis l’on plonge dans la vie de cette famille si représentative : les trois nouvelles publiées à ce jour – d’autres, annoncés, en quatrième de couverture, complèteront ce sombre diorama au fil des ans – invitent, par éclats, à découvrir des impressions d’enfance où on lit, en abîme, la brutalité de la société dans laquelle les Erwaal vivent. Ce sont des sentiments drus, des expériences fortes, qui marquent chacun des trois récits : le chantage, la culpabilité, la violence (physique & morale), la jalousie, la cruauté, la volonté de dominer, voire d’écraser… Autant de moments sombres, fondateurs pour cet univers vénéneux en expansion.
Que l’on suive le père Erwaal (dans ce micro-thriller qu’est Un mal nécessaire, où chantage, politique & guerre mènent la danse) ou ses enfants (dont la relation – malsaine- est explorée dans le suffoquant Dangereuse expédition, et l’éducation – dérangeante- est douloureusement mise en scène dans Retours difficiles), on plonge dans un univers tenu par des émotions fonctionnant par échos obsessionnels : quelle que soit l’expérience qu’il rencontre, chacun des personnages est construit autour d’une violence originelle, qui irrigue ses actes et son rapport à l’Autre, violence encouragée par la société qui le porte, violence fondatrice de ces ils/îles.
C’est la violence, rejet de l’Autre, qui a fondé Ostwand ; c’est la violence qui relie cette famille : violence des non-dits, des jalousies dans la fratrie, violence qui protège le noyau sacré familial, qui l’entretient, le noue. Curieux univers où le geste de briser, de meurtrir, est aussi celui qui relie, qui fonde !
On retrouve cette pulsion de violence dans l’écriture, qui procède par à-coups précis, très cinématographiques et qui cherche à meurtrir, à frapper l’imaginaire avec le plus d’efficacité, de force possible. Ces textes, fort courts, se lisent comme des upercuts visuels, au rythme rapide, cru, prenant.
De ces bribes de sentiments et de récits éclatés jaillit, à la façon d’un tableau impressionniste, un contre-univers qui se déploie comme des souvenirs venus d’ailleurs, un ailleurs aussi sombre que fascinant, à la réalité sans doute décuplée par le simple fait que l’auteur de ces récits se refuse à les signer…
Vous pouvez, encore et toujours, commander les divers opus de ces Scènes étranges d’une enfance de garçon sur le site de l’éditeur.
4 commentaires
Univers pour le moins étrange que j’ai très envie de découvrir. Il n’y a aucune mention de (ou des) auteur(s). Est-ce une “série” qui est écrite par un même auteur ou chaque “épisode” est-il écrit par un auteur différent ?
Il n’y a pas de mention de l’auteur car il ne souhaite pas être mentionné (même pas sous la mention “anonyme”) ; c’est toutefois la même personne qui écrit chaque épisode !
Qui est Julie Proust Tanguy ? demanda Helen
– Je ne la connais pas dit Mälk, et je n’ai aucune envie de la connaître.
– Mais elle a parlé de vos livres dans sa revue, et il me semble même qu’elle en a dit beaucoup de bien, Ciska m’a montré l’article hier soir. Vous auriez pu chercher à savoir… C’est un peu ingrat de votre part, non ? En général, les écrivains aiment beaucoup rencontrer leurs lecteurs, il me semble que Mälk Woolders ne devrait pas faire exception…
– Je ne m’intéresse jamais à ceux qui disent du bien de ce que j’écris.
– Pourquoi ?
– Je ne suis pas assez narcissique.
Elle rit.
– Ce n’est pourtant pas ce que j’ai cru comprendre.
– Alors disons qu’ils me font peur.
– Pourquoi ?
– Je ne suis pas sûr d’être celui dont ils parlent. Et puis, quand quelqu’un vous apprécie, vous n’osez plus ensuite lui mentir. Ce n’est pas bon, pour un écrivain.
– Vous en avez tant besoin que cela ?
– Mentir est encore ce que je sais faire de mieux, dit Mälk. Et d’abord à moi-même, ce qui est essentiel pour entretenir le désir d’écrire.
– Que feriez-vous Si vous le perdiez ?
Mälk s’étendit sur la serviette, à côté d’elle. Il sentait le parfum de l’huile solaire dont elle avait enduit son corps et il évitait de regarder ce corps, ce qui était très difficile.
– Ca me poserait un sacré problème, dit-il, je ne suis pas sûr que j’en viendrais à bout. Vous vous rendez compte, tous ces gens à tuer…
– Qui donc ?
– Ceux qui ont dit du bien de ce que j’écris,naturellement. Il y a un proverbe de l’ancienne Chine qui dit à peu près ceci : « Si tu perds ce à quoi tu tiens, hâte-toi de tuer ceux qui t’ont aidé à l’obtenir ou qui te l’ont donné, ainsi tu pourras mieux oublier que tu l’as possédé ». Et comme j’ai des centaines de milliers de lecteurs, vous imaginez ? Je passerais le reste de mon existence à assassiner des gens comme Julie Proust Tanguy. Le moins que je puisse faire pour les remercier, c’est de ne pas chercher à les connaître. D’une certaine manière, je leur sauve la vie mais je n’ai bien sûr aucun mérite : en plus de mon exceptionnel talent, je suis quelqu’un de fondamentalement bon.
Merci de votre passage et de cette micro-plongée supplémentaire en Ostwand…
(Je n’ai publié que le commentaire avec virgule ; mais j’ai bien souri à la lecture des deux adresses-mail)