Soie
1861. Le jeune Hervé Joncour se voit proposer un métier des plus surprenants : acheteur & vendeur de vers à soie. Cette profession voyageuse le conduit à chercher les précieux insectes jusqu’au Japon, quand une terrible épidémie s’abat sur les vers à soie européens. Là, dans ce pays reclus depuis plus de deux siècles, il trouvera la source de ces voiles de néant et celle d’un amour muet.
C’est une histoire qu’on lit comme un conte initiatique : les voyages de Joncour s’apparentent à autant d’épreuves symboliques, les apparences se dévoilent progressivement dans les replis du texte et, si l’on ne finit par sur la ritournelle familière du « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », la sensation de leçon à retenir est bien présente.
L’écriture, musicale, déploie avec sensibilité, justesse et élégante, les mystères du Japon, la délicatesse de la soie, les profondeurs des non-dits. Le texte s’organise comme une partition, égrenant refrains, contrepoints, accélérations, chants (magnifique lettre finale au rythme pressé de dévoiler ses vérités, respiration retenue puis hachée, suffoquée par le poids des silences retenus !), notes lancinantes, soupirs et mots tantôt dévalant comme des double-croches, tantôt durant, rondes piquées, clés musicales de la succession de plis-mystères que tisse le texte.
A cette soie filante de mots répondent, dans cette très belle édition, les dessins de Rebecca Dautremer, rencontre fructueuse qui démultiplie les échos sensibles et les non-dits du texte. Les illustrations se font ici mise en lumière du texte : défilent, en fils de soie, des crayonnés délicats ; des portraits aux allures de conte ; des collages qui mettent à nu l’élégant patchwork musical du texte ; des clins d’images qui déclinent les petits refrains du récit (les aller-retour France-Japon d’Hervé, la figure tutélaire de Sainte Agnès) ; de beaux jeux d’ombre qui mettent en exergue les jeux de voilé-dévoilé de l’histoire.
Il y a, dans les traits, toujours une infime distorsion – que cela soit dans le rendu flou de certaines images, la légère disproportion de certains traits ou regards, la saturation de certaines couleurs- qui rappelle que, sous ses airs réalistes, cette fiction prend des allures de conte étrange ; que, sous sa perfection métrique, cette musique ment-vrai et brouille les sens comme le fait cette soie, qui glisse, comme absente, de la main d’Hervé ; que, sous sa maîtrise, cette langue conte l’histoire de langues qui se rencontrent sans jamais tout à fait se comprendre.
Rébecca Dautremer, en brouillant les frontières, les couleurs et les traits et en mêlant dans ses images différentes techniques, propose en cela, au-delà du caractère purement illustratif du texte, une interprétation, un écho personnel à l’écriture de Baricco. A lire ses images, on lit un texte recomposé, aux mystères éclairés et renouvelés dans un même élan.
Saluons, pour finir, le très beau travail d’édition des toutes jeunes éditions Tishina : élégante jaquette-kimono qui se déplie pour révéler une belle affiche, couverture pistache marquée à chaud, papier au grammage doux, livre cousu (si rare !), illustrations photogravées au rendu de qualité, mise en page raffinée… C’est un superbe objet, qui démultiplie le plaisir de lecture.
A offrir – car qui a dit que les livres illustrés devaient être réservés aux enfants ?
Vous pouvez découvrir quelques images de ce bel ouvrage sur le site des éditions Tishina.
Livre reçu dans le cadre d’une masse critique sur Babelio.