De Litteris

29-4-2017

L’ingratitude de l’écriture

ingratitude-ecriture

Cette semaine, je souhaiterais aborder un sujet plus léger que le syndrome de l’imposteur mais tout aussi important à mes yeux : la démystification du « glamour » entourant le travail de l’écrivain dans certains médias.
(Il n’y aura donc aucun rapport avec la kokeshi qui trône fièrement, dans cette image, devant l’un de mes kimonos)

Il est certes plus attirant d’imaginer l’écrivain marchant, yeux dans le vague et cheveux dans le vent, à la rencontre de ses idées ; plissant les yeux, il discerne dans les ténèbres les mots que lui chuchotent nos silences. Inspiré, il se précipite chez lui pour écrire fébrilement, à sa table de travail éclairée par une lampe méduse, les éclats de génie qu’il dispensera plus tard généreusement à ses lecteurs.

Il est séduisant d’imaginer son bureau parsemé de quelques feuilles tremblotant de biffures déterminées, ses tiroirs regorgeant de manuscrits repoussés d’un revers dédaigneux d’une main à l’index constellé d’encre, et son stylo hésitant à placer la digne virgule qui permettra à son bien-aimé lecteur de reprendre momentanément son souffle avant de plonger à nouveau en apnée dans la lumière des phrases qui sauront le guider ad vitam aeternam ou lui fournir la dose de divertissement qu’une société laborieuse et injuste lui refuse au quotidien.

Ou tout autre cliché pour lequel je me fendrais volontiers d’une pénultième description aussi ironique que caricaturale si mon propre manuscrit ne m’attendait pas.

Cela fait rêver, ce grand mythe de l’intellectuel bercé par les muses, écrivant envers et contre tout, du génie foudroyé par l’inspiration du best-seller à placer dans toutes les bibliothèques, ou encore du scribomane qui accumule la littérature dans sa tanière reculée peuplée de livres et de manuscrits inachevés.

Si certains auteurs s’appliquent à le démonter, d’autres jouent volontiers sur la légende de l’Ecrivain. Ça serait sans doute moins vendeur, de décrire la réalité telle qu’elle est pour la plupart de ceux qui décident de se lancer dans l’écriture. Ecrire, c’est effectivement être parfois porté par la grâce de voir les mots qui s’installent comme vous le souhaitez sur la page ou, au contraire, rejouer les pires pages du journal de Kafka, quand rien ne sort correctement.

Mais la plupart du temps, c’est surtout s’auto-botter le cul pour s’installer face au clavier, arrêter de s’inventer de mauvaises excuses et s’y mettre. C’est repousser des invitations amicales pour se coller face à son écran tout le week-end pour pondre les 40 000 signes que l’on s’est promis d’écrire, et se retrouver dépourvu de toute conversation sociale face à la fameuse question « et toi, qu’as-tu fait de ton week-end ? ».

Oh, que j’aimerais avoir le culot de répondre fougueusement « j’ai écrit le livre qui va t’ouvrir mille univers insoupçonnés quand tu le liras dans quelques mois » ! Mais je me contente d’un banal « j’ai écrit », qui m’attire inévitablement soit un sourire respectueux et entendu, soit un hochement de tête un peu embarrassé – mais que répondre à cela, effectivement ? L’écriture est à la fois l’expérience la plus partagée du monde et la moins compréhensible, en raison des clichés mystiquement stupides qui l’entourent : l’écrivain français, cet extra-terrestre illuminé qui traîne encore trop souvent derrière lui le fardeau que lui a transmis Victor Hugo, celui d’être un flambeau destiné à illuminer ses lecteurs.

Et s’il y a effectivement quelque chose de merveilleux dans cette capacité qu’a l’écrit à modifier la perception du monde que pouvait avoir le lecteur avant d’entamer le livre, je trouve assez dangereux de faire de l’écrivain une espèce à part, aux pouvoirs incompréhensibles. Tout cela, chères lectrices, chers lecteurs, ce n’est que du travail, acharné, solitaire et souvent ingrat -non pas que je me plaigne ou cherche à obtenir une quelconque couronne de lauriers en le soulignant : encore une fois, je cherche simplement à produire une description réaliste.

Comme tout métier qui s’apprend par l’expérience, l’erreur, les essais répétés, les échecs renouvelés et les réussites encourageantes, le métier d’écrivain n’est qu’une longue suite d’heures concentrées où, renonçant momentanément à l’apanage d’une vie sociale ou la réduisant à de faibles pointillés, on scribouille, peste, rature, essaye, réfléchit face à un carnet et un écran. Et si « l’inspiration » frappe parfois – je dirais plutôt « le fruit de longues réflexions et du travail de l’inconscient, qui trace des connexions inespérées dans un cerveau obsédé par son sujet » –, ce n’est que parce que, par choix et par acharnement, on s’est suffisamment immergé dans son sujet pour en tirer des idées originales. Et, encore une fois, ne vous imaginez pas que cette réclusion volontaire est un « renoncement au monde » ou je-ne-sais-quelle formulation romantique qui auréolerait d’une valeur sacrificielle l’auteur(e) qui fait partie de vos contacts facebook et instagram. C’est juste une question de bon sens : si vous voulez un jour produire quelque écrit voué à durer plus longtemps qu’un statut facebook, vous avez tout simplement besoin de vous « déconnecter » du « bruit du monde », si j’ose dire…
… ce que je vais donc m’empresser de faire pour avancer sur mon projet. ;-)

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