De Litteris

23-4-2017

Le syndrome de l’imposteur

coulisse-imposture

J’ai longtemps hésité à poster cette coulisse, en ce dimanche présidentiel où mon attention est plus rivée sur l’attente des résultats que sur l’envie de partager ce que je scribouille.

Je me suis toutefois rappelé que je voulais vous parler du syndrome de l’imposteur et cela m’a semblé correspondre à ce temps d’élection.

Ainsi que je vous le disais il y a quelques temps, la sensation d’imposture me poursuit dans les premiers temps de l’écriture de tout projet et revient s’installer quand je n’ai pas pu m’occuper de mon manuscrit pendant quelques temps.

C’est un moment absolument détestable où, malgré tout le travail obstiné de recherches que j’ai pu effectuer, la certitude d’avoir déjà réussi à terminer le même type de livres, et, plus globalement, le fait que mon cerveau soit en temps normal plus rationnel qu’émotif, je freine des quatre fers, intimement persuadée que je n’arriverai à rien et qu’il existe des milliers de personnes plus qualifiées et légitimes que moi pour porter le projet.

J’ai beau me forcer à constater que j’ai déjà abattu une grosse masse de travail sans aucun problème, me répéter qu’il est aujourd’hui impossible d’absolument TOUT savoir sur un sujet et que mon projet n’est pas d’écrire une encyclopédie mais d’articuler les grands points saillants d’un système culturel, la panique me tétanise et la première page blanche me nargue.

Les premiers mots qui sortent (enfin, quand ils sortent… !) sont forcément imprégnés par cette irrationalité pure et donc absolument merdiques… ou me le semblent en tout cas, me confortant alors dans ma spirale d’auto-détestation et de dévalorisation. A ma grande honte, je me sers des propos horribles que je n’oserais même pas jeter à mes “ennemis” (si j’ose dire, ne pouvant pas décemment prétendre dans ces cas-là au statut de super-héroïne dotée de Némésis). Je me sens alors aussi mal que lorsque, adolescente, atteinte d’une maladie alors inidentifiée (la difficulté de trouver le médecin qui saura détecter la maladie rare qui vous pourrit le quotidien et qui, faute de la guérir, saura vous dire que vous n’êtes pas fou mais juste extrêmement malchanceux…), j’avais l’impression de ne pas valoir grand-chose, en dehors de ma faculté à engloutir des livres, et m’étonnais toujours des gestes amicaux que je pouvais recevoir.

Je fais une petite pause ici car j’imagine que dernier paragraphe aura pu étonner ceux qui m’ont croisée mais ne me connaissent pas personnellement et me voient plus, j’imagine, comme une espèce de grande enthousiaste pleine de confiance en elle. Je pense particulièrement aux quelques ancien(ne)s élèves qui, curieux d’en savoir plus sur leur ex-prof, suivent mes publications. Parmi eux, il y en a quelques-uns à qui j’ai donné avec beaucoup d’aplomb des conseils pour prendre confiance en eux et qui doivent avoir l’impression de s’être fait arnaquer par quelqu’un qui n’est pas fichue de se les appliquer. ;-)

C’est précisément pour ces derniers (notamment) que, bravant ma pudeur et mon horreur à parler-de-moi-quand-ça-ne-touche-pas-un-sujet-intellectuel, j’essaye de poser ces quelques mots, à la fois pour leur montrer que les adultes peuvent aussi passer par de grosses crises de doute et se comporter alors de manière particulièrement ridicule, mais aussi pour leur dire avec force qu’il est aussi possible de ne pas se laisser enformer dans ce processus dévalorisant. On finit par en sortir pour redevenir la prof folledingue qui fait le clown, en toute confiance, sur son estrade. ;-)

Mais comment s’en sortir, me direz-vous, et redevenir le bourreau de travail que je suis en temps normal ? Si les arguments rationnels ont tous échoué (le meilleur d’entre eux étant de me rappeler que ce sont souvent les personnes les plus qualifiées qui paniquent car elles prennent la pleine mesure des enjeux auxquelles elles se confrontent), si la confiance que porte en moi mon cher et tendre n’a pas suffi à m’apaiser et si le fait d’endosser mon tablier-uniforme ne suffit pas à me convaincre qu’il est temps d’arrêter de me retourner le cerveau pour en faire meilleur usage, il me reste toujours un ultime recours.

Je l’ai trouvé chez un de mes auteurs préférés, Neil Gaiman, qui explique, dans un article ou une interview, que, lorsqu’il est lui-même confronté au syndrome de l’imposteur, il trompe sa propre peur en jouant à être un expert capable d’aller jusqu’au bout de son texte, jusqu’à ce qu’il oublie son angoisse et écrive, sans s’en rendre compte, le texte en question. Je ne sais pas si c’est le fait de me placer sous l’égide bienveillante d’un écrivain que j’admire depuis si longtemps ou si c’est celui de réussir, enfin, à court-circuiter le débordement d’émotions paralysantes pour recréer le cadre rationnel que j’habite en temps normal, mais cela finit toujours par fonctionner. C’est bien la seule fois où je m’autorise à mentir à moi-même…

Et si je garde toujours une part de peur de ne pas me montrer à la hauteur de ma propre ambition et de la confiance que l’on peut porter en moi, les mots sortent. Peu m’importe alors de savoir que, nécessairement, mon perfectionnisme en rétamera certains ou en engloutira d’autres : le livre se met en route. Il sera bien temps, plus tard, de le retoucher pour qu’il ressemble à l’idéal que je me fais de lui…

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