De Litteris

7-1-2012

Relire

Alors que la nouvelle année étire ses prémices et ses promesses, le désir de découvrir de nouvelles œuvres grandit en moi, avec l’envie –non : le besoin- d’en relire certaines, par tradition autant que par nécessité.

Il y a, dans la relecture, pour moi, autant le plaisir enfantin de retrouver un trésor momentanément égaré, une cachette dans laquelle on se blottit à plaisir et dont on retrouve, heureux, les contours familiers, que la nécessité de se confronter au texte pour savoir qui, de lui ou de moi, a vieilli ou quelle facette de nous-mêmes nous nous révèlerons cette fois-ci. Serai-je, cette année, moins éblouie par les tirades de Cyrano, mon héros d’enfance, le poids obscur de l’anneau tolkienien, le verbe proustien ou la poésie rimbaldienne ? Que décèlerai-je dans Madame Bovary que je n’ai pas encore perçu ?

Car relire me découvre : soulevant les couches du texte, j’entame un dialogue avec ses mots autant qu’avec moi-même. Collégienne, je me suis projetée dans les emportements romantiques de l’héroïne de Flaubert et ses yeux opaques de « mauvaise » lectrice, croyant me reconnaître dans cet ennui empli de rêveries ; lycéenne, me confrontant une seconde fois au texte, je me suis pris de plein fouet l’ironie flaubertienne ; hypokhâgneuse, j’ai mieux compris, au fil des relectures, la fameuse « force interne de son style » ; sorbonnarde dépensant l’argent de mes repas du midi en livres d’occasion et en places de cinéma, j’ai été frappée par les causes mêmes du suicide d’Emma (peut-être moins la déception amoureuse que la honte d’être confrontée à la ruine causée par ses fièvres acheteuses : Emma, victime de la société de consommation ?) ; professeur, j’ai découvert la difficulté de faire comprendre la beauté des descriptions et des flottements intérieurs à des générations pour qui l’action est tout dans un livre ou un film et qui, sautant souvent d’une activité à une autre, ne comprennent pas toujours la notion d’ennui elle-même et ce qu’elle peut engendrer, alors que ce vide ou ce rien, cet espace libre, cette bifurcation silencieuse dans le quotidien, me semble le commencement de la littérature…

La relecture m’est donc marqueur de vie, expérience de moi-même mais aussi du « mieux lire ». J’ai perdu l’ambition enfantine de « tout » lire », lui préférant celle de devenir « meilleure » lectrice : quitte à ne pas avoir assez d’une vie pour lire toutes les choses intéressantes à lire, autant passer cette vie à affûter son regard pour mieux percevoir l’intérêt, la beauté, de ce que celui-ci lira. La relecture, curieuse et exigeante, des livres dont le premier contact m’a éblouie (peu m’importe qu’ils soient considérés comme classiques, modernes, dans les marges ou essentiels, considérés comme « majeurs » ou « mineurs ») fait donc partie de mon quotidien : je ne chronique d’ailleurs ici, non pas tout ce que je lis, mais tout ce que je relis, tout ce qui « passe » l’étape de la relecture, livres fétiches ou opus récemment découverts et relus dans la foulée.

La relecture est digestion, macération du livre. Ce qu’une première lecture, parfois rendue fébrile par la faim littéraire – bien que mes goûts sélectifs aient eu raison de mes appétits de jeunesse, je garde en moi une certaine forme de boulimie me poussant à dévorer le livre, dans un état de tension et de concentration qui me laisse exsangue, oublieuse d’un monde qui pourrait s’effondrer sans que j’en prenne conscience- ou par l’excitation intellectuelle que provoque la joie de la découverte, n’aura pas vu, la relecture me l’offrira, entre plaisir de retrouver ce qui m’aura frappée à une première lecture et jubilation de relier entre elles différentes intuitions littéraires.

Je pourrais, bien sûr, parler d’un livre sans l’avoir relu, mais j’y perdrais le plaisir du dialogue littéraire, du déploiement des différentes couches du livre – et du livre en moi. Cette année, j’ai décidé de relire, dès demain, jour de mon anniversaire, Shakespeare. Je suis curieuse, déjà, de me confronter à des textes que je n’ai pas effleuré (ou par fragments, seulement) depuis longtemps : ma perception de la langue anglaise s’étant affinée depuis ma dernière lecture, j’ai hâte d’en mordre le Verbe et de le laisser décanter en moi…

Bonne année de (re)lectures à vous !

 

Images : Le libraire, d’Arcimboldo ; couverture d’une de mes éditions de Madame Bovary.

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3 commentaires

  1. Sébastien a écrit le 10-1-2012 à 23 h 37 min :

    Je partage tout à fait votre avis : relire est essentiel, comme la musique qui demande à être réécouter… Pour tisser des liens prospectifs pendant la lecture, pour se dégager un peu plus du sens pour en sentir la musicalité du texte, pour s’imprégner du texte… Les raisons sont nombreuses… Lire est l’épreuve suprême de la patience c’est encore quelque chose qu’on n’arrivera pas à accélérer (et le numérique pas plus qu’un autre support), aussi relire est un défi à la lenteur qui fuit notre monde !

    Je vous souhaite une bonne année bien remplie de (re-)lectures ! Je pense à vous et ne vous oublie pas :)

  2. Julie Proust Tanguy a écrit le 15-1-2012 à 17 h 48 min :

    Je partage tout à fait votre sentiment de la “lenteur qui fuit le monde” – et fuis, quant à moi, le règne de l’immédiateté, où la nouveauté bouscule la nouveauté, dans une excitation perpétuelle qui ne permet plus de savourer les livres…

    A très bientôt !

  3. gilles garriguenc a écrit le 9-8-2015 à 17 h 42 min :

    Je termine une relecture de Virginia Woolf avec un immense plaisir;après je rouvre Döblin.Bien-sur qu’il faut relire pourquoi se priver des”classiques”sous prétexte qu’on les aurait lu a l’école ou que “les autres” ne les lisent pas?

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