Allez dire à la ville…
En attendant de trouver un peu de temps pour écrire, dans une semaine emplie de belles rencontres littéraires et de peu de virtuel, je ne peux m’empêcher de partager ce poème de Xavier Grall, lu et relu cent fois depuis l’adolescence, envolée que je me suis récitée au sortir de la belle rencontre avec Michel Le Bris et Gilles Lapouge – entendre parler ces hommes-mondes, ces sources-pages était une bien belle expérience et voir Le Bris m’a instantanément rappelé à ces vers bretons, d’un auteur dont il faudra que je parle longuement, un jour, en ces pages.
Allez dire à la ville
A Paul Guimard
Terre dure de dunes et de pluies
c’est ici que je loge
cherchez, vous ne me trouverez pas
c’est ici, c’est ici que les lézards
réinventent les menhirs
c’est ici que je m’invente
j’ai l’âge des légendes
j’ai deux mille ans
vous ne pouvez pas me connaître
je demeure dans la voix des bardes
O rebelles, mes frères
dans les mares les méduses assassinent les algues
on ne s’invente jamais qu’au fond des querelles
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas
dans mes racines je demeure
Allez dire à la ville
qu’à Raguenès et Kersidan
la mer conteste la rive
que les chardons accrochent la chair des enfants
que l’auroch bleu des marées
défonce le front des brandes
Allez dire à la ville
que c’est ici que je perdure
roulé aux temps anciens
des misaines et des haubans
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas.
Poètes et forbans ont même masure
les chaumes sont pleins de trésors et de rats
on ne reçoit ici que ceux qui sont en règle
avec leur âme sans l’être avec la loi
les amis des grands vents
et les oiseaux perdus
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas
Terre dure de dunes et de pluies
pierres levées sur l’épiphanie des maïs
chemins tordus comme des croix
Cornouaille
tous les chemins vont à la mer
entre les songes des tamaris
les paradis gisent au large
Aven
Eden
ria des passereaux
on met le cap sur la lampe des auberges
les soirs sont bleus sur les ardoises de Kerdruc
O pays du sel et du lait
Allez dire à la ville
que c’en est fini
je ne reviendrai pas
Le Verbe s’est fait voile et varech
bruyère et chapelle
rivage des Gaëls
en toi, je demeure.
Allez dire à la ville
Je ne reviendrai pas.
Xavier Grall, extrait de La sône des pluies et des tombes
Photo de Xavier Grall, par Gabirel Queré