Bankster
On entre, avec cette nouvelle, dans un Paris disparu : celui des Halles et de ses bouillons, joyeusement bruyants de la gouaille d’un petit peuple qu’on imagine volontiers hanter les pages des Nuits d’Octobre de Nerval ou la pellicule d’un film des années cinquante, plutôt que le forum actuel, concentré consumériste sans âme que n’arpentent plus que des adolescents à l’esthétique relâchée.
Le narrateur, un vendeur de journaux itinérants, un colporteur comme on n’en fait plus, dresse le portrait d’une rencontre inoubliable : celle d’un homme, tout droit sorti d’un roman de Balzac, qui, sous ses airs rassurants et bonhommes, cache un arnaqueur de talent. Dépeignant le cheminement de leur amitié, il conte la terrible machination mise en place par ce banquier duplice et entraîne jusqu’à la chute son lecteur complice.
On se régale de ce petit récit à dévorer d’un seul trait : le rythme de la narration est excellent, l’atmosphère nostalgique emporte et la langue, surtout, s’engloutit comme une friandise.
Robert Bruce a l’art du trait qui fait mouche (« à première vue, notre homme n’a ni l’entregent d’un Stasvisky, ni la révolte d’un Mandrin, encore moins la farouche combativité de Villon, la canaillerie de Cartouche, d’un Guilleri ou tous ces autres légendaires malandrins des grands chemins de France »), de la formule qui esquisse, vivante, la silhouette croisée ou l’atmosphère d’un lieu traversé (« dans peu de temps, la capitale reprendrait ses couleurs, serait envahie par ces touristes soudain pris d’un accès aigu de culture, et qui tombent en pâmoison devant la dernière chiure de mouches sur nos murs ou admirent jusqu’à l’extase le mobilier urbain couvert de graffitis de Monsieur Decaux »).
Sa plume, oscillant entre flux tendu du récit et volonté de donner à lire, au-delà d’une histoire, une certaine impression de Paris, déploie des trouvailles gourmandes et façonne un curieux livre mélancolique – malgré certains ancrages modernes, comme les ordinateurs, on a l’impression de lire là une balade du temps de jadis– et intemporel, tant l’avidité humaine n’a pas d’âge.
Un bonbon parigot à partager et à commander sur le site de l’éditeur.
8 commentaires
bravo Robert! quelle bonne nouvelle
Bonjour chère Lioubliou, merci pour votre enthousiasme. Je vous souhaite une belle journée !
Chère de litteris,
Je suis ravi de votre commentaire de Bankster et du poème Mon Frère, et ce d’autant plus que j’ai toujours été considéré à tort ou à raison comme le dernier de la classe par les aficionados des Penchants du Roseau. Pour cela, et bien d’autres choses encore, je vous remercie.
Ravie de vous avoir offert ce plaisir, en retour du plaisir de lecture que vous m’avez offert !
Chère Julie Proust Tanguy,
En tant qu’ancien SDF, mon dernier livre “Un Café et l’Addition” est une autofiction de mes quatre années dans les rues de Paris. Je considère, à tort peut-être, que c’est mon livre le plus abouti ( c’est en tout cas, l’avis presque général de mes lecteurs). Puis-je me permettre de vous en adresser un exemplaire pour avis ? A vous lire, remerciements, R.B.
Avec grand plaisir – je vous envoie un mail de ce pas !
Grand plaisir à la lecture de cet ouvrage au titre si bien trouvé . L’histoire narrée m’a plu . Elle décrit si bien les caractéres humains et arrive si justement à ce moment de notre histoire .
J’y ai retrouvé du maupassant de mon enfance .
Bravo et merci pour le plaisir partagé .
Merci pour ce chaleureux commentaire – et oui, le titre est une jolie trouvaille, je ne l’ai pas assez souligné !