Ce que j’appelle oubli
« Quand il est entré dans le supermarché, il s’est dirigé vers les bières. Il a ouvert une canette et l’a bue. À quoi a-t-il pensé en étanchant sa soif, à qui, je ne le sais pas.
Ce dont je suis certain, en revanche, c’est qu’entre le moment de son arrivée et celui où les vigiles l’ont arrêté, personne n’aurait imaginé qu’il n’en sortirait pas.
Cette fiction est librement inspirée d’un fait divers, survenu à Lyon, en décembre 2009. »
Derrière cette présentation sobre, une lettre adressée au frère du disparu, ou plutôt une plongée en apnée dans le cauchemar inhumain vécu par celui-ci. Une longue phrase qui étire son incompréhension face à la barbarie de l’acte, sa violente bêtise, son absence de motifs. Une phrase tout en repli et en accélération, où Mauvignier dessine moins le portrait en creux d’une victime privée des préambules de sa vie et le moment terrifiant de sa mort, qu’un cri de colère contre une société indifférente à la sauvagerie gratuite, qui isole, déchire, rejette, tue. A la fois lettre, lamento, hurlement d’incompréhension, colère bouillonnante, Ce que j’appelle oubli est surtout un moment poignant de littérature, qui prouve que l’on peut toucher à l’universel en traitant d’un horrible fait divers. Leçon de style et de littérature autant que réflexion sur la barbarie, cette poignée de pages coupe le souffle et hante longtemps après avoir déferlé en nous et laisse une plaie béante et durable à l’âme.