Julien
L’écueil de maints romans historiques est de s’adonner soit à une relecture trop personnelle d’un personnage (Yourcenar se dissimulant bien mal derrière son Hadrien), soit à un viol de l’histoire (Alexandre Dumas lui aura fait de chouettes enfants), soit à un exposé didactique de la période qui oublie l’art romanesque. Difficile de donner à expérimenter l’histoire, la recréer, tâtonner jusqu’à trouver la juste mesure de la sensibilité d’une période, tout en faisant oeuvre d’écrivain.
Gore Vidal me semble y parvenir avec cet exceptionnel Julien : il aurait pourtant été facile de se laisser aller à un portrait romantisé de l’Apostat, d’en faire un libre-penseur incompris précurseur d’une certaine modernité… tout comme Vidal aurait pu, sans doute, se laisser aller à une érudition mécanique (il donne l’impression d’avoir lu toute la production du IVe siècle pour arriver à ce niveau de réalisme…).
Mais non : ces mémoires apocryphes, entrecoupées de commentaires (écrits à l’ombre de Théodose…) et de lettres, parviennent à faire vivre, de manière admirable, l’Antiquité Tardive dans toutes ses contradictions païennes et chrétiennes, la mutation de ses moeurs et de ses systèmes de pensées. Julien, que l’on suit de son enfance à sa mort, se fait le véhicule parfait de ces déchirements : faut-il laisser la place libre à un christianisme en plein essor ou se retourner vers la lueur anachronique de l’hellénisme ? Et l’on suit la formation intellectuelle du futur empereur, depuis son enfance d’otage jusqu’à son accession au pouvoir ; plonge dans la complexité du fonctionnement de la tétrarchie ; s’immerge dans les querelles philosophiques de l’époque ou dans une initiation au mithraïsme ; se laisse porter par des considérations sur le redressement militaire de l’empire ; s’interroge sur la possibilité d’une renaissance du paganisme ou sur la manière dont le christianisme s’est en partie saisi de la liturgie païenne ; dénoue les fils conspirateurs entraînant la mort de Julien…
Et ressurgit, soudain, vibrant, un moment d’histoire, saisi à travers un prisme humain fascinant, et servi par une langue classique, élégante, infiniment juste. Un délice, pour amoureux antiques, doublé d’une prouesse romanesque.
“Les Barbares cependant sont à nos portes. Mais, lorsqu’ils ouvriront une brèche dans la muraille, ils ne trouveront rien de précieux sur quoi faire main basse, seulement des reliques vides. L’esprit de ce que nous étions s’est envolé. [….] La lumière s’est éteinte avec Julien et nous n’avons plus désormais qu’à laisser venir les ténèbres en espérant un nouveau soleil et un autre jour, né du mystère du temps et de l’amour de l’homme pour la lumière.”
2 commentaires
Je suis en train de le lire ! Encore une coïncidence ?
Ah ! Je serais curieuse de votre avis. ;-)