L’ours – Histoire d’un roi déchu
Voilà un essai stimulant qui, étudiant la lente déchéance de l’ours – au profit du lion- dans les cultes humains, nous amène à considérer la formation de nos préjugés, les influences qui leur ont donné corps, et, malgré ces influences, la persistance de certaines de nos croyances.
Vénéré dès le paléolithique par l’Homme avec qui il partageait les mêmes cavernes, idolâtré par les Germains, humilié par l’Eglise qui, le considérant comme trop humain et donc diabolique, travailla à dégrader progressivement son image et éliminer ses cultes, et, malgré tout, adoré aujourd’hui par les enfants sous forme de peluche ou de héros de littérature jeunesse, l’ours se fait le symbole de la lutte entre christianisme et paganisme, entre doxa et croyances populaires.
Michel Pastoureau étudie avec finesse et érudition ce déplacement des croyances : l’ours, symbole de courage, de force et de noblesse, devient peu à peu l’incarnation de pas moins de cinq péchés capitaux ; d’animal libre et indépendant, il se fait bête soumise aux ermites et aux montreurs de foire, gibier de maigre importance (inversant les places avec le cerf, qui devient chasse royale). En quelques siècles, les esprits le détrônent au profit du lion, fauve dont l’exotisme apparaît moins dangereux aux prélats que cet ours si humain dans ses comportements.
De cette extraordinaire entreprise de formatage des croyances, qui s’est mobilisée sur différents aspects du savoir humain (linguistique, biologie revisitée à l’aune de l’Eglise, hagiographie, iconographie…), Michel Pastoureau tire un livre riche et dynamique, qui nous invite autant à méditer l’histoire culturelle d’un animal fascinant qu’à analyser les schémas de pensée reçus en héritage.