L’amour commence en hiver
L’amour comme en hiver explore le thème, rebattu, remâché, tant et tant de fois affadi, de la rencontre amoureuse. Celle de deux êtres esseulés, hantés par la disparition, dans leur enfance, d’un proche.
L’un remplit ses poches de pierres et garde précieusement la moufle de l’enfant morte ; l’autre les bourre de glands, pour les oiseaux que le petit frère aimait tant nourrir. L’un ne peut jouer du violoncelle que pour le fantôme de l’amie, l’autre part à la recherche d’un oiseleur qu’elle espère être le cher disparu. Leurs errances se croiseront, se reconnaîtront et se complèteront.
Mais qu’y-a-t-il de plus, alors, dans cette novella, que dans les mille et une histoires romantiques que l’on a pu lire ? Peut-être l’intention de restructurer au plus juste, musicalement, ce thème épuisé ; de lui offrir une variation sensible pour l’oreille fatiguée par tant de rabâchage.
Nos deux exilés du monde, effarés par la vie et oubliés par le passage du temps, évoluent à travers une petite musique veillant, non à faire surgir un amour dégoulinant de bons sentiments, mais à faire oublier, avec élégance, le thème central de la rencontre, la dissimulant sous ce qui va générer cette reconnaissance : un même rapport à l’hors-temps ; une attention particulière au monde et à ce qu’exhalent les êtres ; une certaine sincérité, jusqu’à la transparence ; une construction personnelle centrée sur un vide dévorant.
Il y a, dans ces jeux de motifs et de variations, quelque chose des toccata de Bach, que Bruno, le violoncelliste, interprète à plaisir : les souvenirs et les sentiments s’y trillent, s’enfuient, ressurgissent, s’entrecroisent et s’évanouissent, selon un rythme qui infuse toute la partitition-texte de sa régularité. Les descriptions par petites touches s’estompent au profit d’aphorismes, qui rappelleront, quand ils sont réussis (ce qui n’est pas toujours le cas, à trop vouloir les multiplier), certains éclats de Christian Bobin (« la musique est l’ultime aspiration du langage »), et cherchent à inscrire cette rencontre singulière dans une sorte d’absolu de la rencontre amoureuse.
Si l’on excepte quelques lourdeurs qui encombrent parfois cette délicate mélodie (je pense ici à quelques phrases qui, loin de résonner comme d’inspirées sentences, étouffent brièvement la lente progression du récit : est-il ainsi réellement besoin de rappeler que « l’espoir est le plus beau des cadeaux » ?), c’est donc un bien joli duo à voix étouffées, puis libérées, que nous propose Simon Van Booy.
Une courte et délicate fugue amoureuse, à lire avec les Suites pour violoncelle seul de Bach en fond sonore.
Livre reçu en service de presse.