Le maître des illusions
C’est un livre que j’aime relire régulièrement : comme Le Mage, c’est un superbe livre sur la manipulation psychologique, la fascination que peuvent faire naître en nous certaines personnes, la perte de l’innocence, les rapports ambigus qu’entretiennent le Beau et l’Horreur.
Quittant sa Californie natale, le narrateur, un jeune boursier honteux de ses origines, vient étudier à Hamden une prestigieuse université du Vermont (dont le nom fait penser au Campden de B.E. Ellis, à qui le roman est d’ailleurs dédié). Il remarque rapidement un petit groupe d’étudiants en grec, dont la singularité et l’esthétisme le fascinent, et qui semblent entièrement dévoués à leur maître, Julian Morrow, un professeur charismatique, à l’histoire et à l’identité ambiguë. Il parviendra à intégrer le petit groupe, à en être accepté et à observer les étranges relations qui les unissent. Orgueil, jalousie, honte, recherche de l’absolu et de l’extase, manipulations, trahisons, cruauté, chantages… et un lourd secret rythment dès lors sa vie.
L’originalité de ce roman est d’en révéler assez vite le centre horrible, le meurtre inconcevable, pour mieux focaliser le lecteur sur l’atmosphère de terreur psychologique qui imprègne le livre et sur les relations troubles, entre innocence et perversité, qui relient les personnages. Ces portraits et leurs interactions sont l’armature principale de cet excellent roman, dont on a peine à imaginer qu’il soit le premier de l’auteur, tant les caractères et l’ambiances sont campés avec maestria.
Et le lecteur de plonger dans un univers d’érudition et de décadence dionysiaque, où beauté et bonheur enlacent terreur et horreur… complètement fasciné par le style (entre lyrisme et fluidité) de l’auteur qui n’a, depuis, pas réussi (à mes yeux tout du moins) à retrouver la flamboyance de ce premier roman immense et féroce.
« Les choses terribles et sanglantes sont parfois les plus belles. C’est une idée très grecque, et très profonde. La beauté c’est la terreur. Ce que nous appelons beau nous fait frémir. Et que pouvait-il y avoir de plus terrifiant et de plus beau, pour des âmes comme celles des Grecs ou les nôtres, que de perdre tout contrôle ? Rejeter un instant les chaînes de l’existence, briser l’accident de notre être mortel ? […] Si nos âmes sont assez fortes, nous pouvons déchirer le voile et regarder en face cette beauté nue et terrible ; que Dieu nous consume, nous dévore, détache nos os de notre corps. Et nous recrache, nés à nouveau. »