Lire le Japon
En parallèle de mes lectures voyageuses (voir ici et là), j’ai multiplié ces derniers temps des lectures plus spécifiquement centrées sur le Japon. Homo Japonicus m’avait donné envie de me pencher plus sérieusement sur d’autres clichés véhiculés par cette civilisation qui me fascine depuis des années.
En grande théophile, je me suis donc tout d’abord emparée du Livre du thé de Okakura Kakuzô (Picquier poche). Ce livre relativement récent (à peine plus d’un siècle – récent, donc, au vu de l’histoire de la littérature…) fait de l’art du thé un traité de l’art de vivre à la japonaise, un manifeste écrit à l’intention des lecteurs occidentaux, dont la vie, organisée autour de la vitesse, de l’industrialisation et de l’argent, s’oppose au raffinement serein de la chambre de thé asiatique et au rituel du cha no yu, tout de beauté et de recueillement, véritable culte de l’imparfait et du fugace. En explorant les diverses facettes de la cérémonie du thé (utilisation des fleurs, les écoles du thé, la philosophie zen), Okakura Kakuzô nous livre un fascinant portrait en demi-teinte (très « japonais » dans l’esprit) de son pays.
D’un univers poétique à un autre, il n’y a qu’un pas, se nommant Petit manuel pour écrire des haïkus ((Picquier poche). Ce petit essai rafraîchissant de Philippe Costa commence par déblayer des idées préconçues et très occidentales sur la poésie japonaise : le haïku n’est ni sentence zen à double sens qu’il s’agit de méditer (en d’autres termes : ce n’est pas de la poésie symboliste européenne), ni le fruit d’une inspiration subite, ni imprégné d’un culte de la nature qu’on imagine démesuré chez les Japonais… C’est au contraire un petit poème travaillé, essentiellement basé sur l’humour, l’émotion, un véritable (sou)rire de l’esprit (satirique s’il s’agit d’un senryû). Une fois ces préjugés écartés, Costa nous confie une véritable banque de données pour écrire des haïkus (conseils de rythmes, d’images, de thèmes, d’esprit…), que j’ai, pour ma part, trouvée très inspirantes. Ou plutôt devrais-je dire :
Outils en vrac sur les pages –
D’encre tachetées
Je vous imagine, ô feuilles !
On repassera pour l’humour… mais me voilà bien décidée à écrire plus régulièrement des haïkus, pour le plaisir du jonglage de mots.
Plus sombre mais tout aussi intéressant : Yakuza, la mafia japonaise (Picquier poche) est une enquête menée par David Kaplan et Alec Dubro sur ces personnages qui hantent les films de ce génie de Kitano. Une passionnante « rétrospective » des origines des yakuzas (que je n’aurais jamais imaginé se réclamer les descendants des ronins…) et de la façon dont ils sont peu à peu devenus une organisation criminelle parfaitement intégrée à la société japonaise au vu et au su de tous, contribuant à l’économie officielle et secrète de leur pays. Tout simplement passionnant !
Enfin, je ne rate jamais la sortie des romans de Yoko Ogawa en poche : La marche de Mina m’a permis de retrouver l’écriture subtile et raffinée de cette grande dame des lettres japonaises, qui nous propose ici le portrait d’une curieuse famille (grand-mère allemande dévouée et presque jumelle de leur domestique zélée, père aux allures occidentales trop souvent absent, mère alcoolique en quête des coquilles dans les livres, fille écrivain –mais sur boîte d’allumettes exclusivement !- allant à l’école à dos d’hippopotame nain…).
Dans cette atmosphère qui semble toujours sur le point de verser dans l’imaginaire, on découvre en demi-teintes le Japon des années 70 vu à travers les yeux de Tomoko, leur nièce/cousine de douze ans, qui s’installe dans ce petit microcosme doré et participera aux lents changements de la vie de ses proches, dont elle apprend à connaître les mystères. C’est un très joli récit, empreint de nostalgie et de tendresse, loin de l’atmosphère dérangeante que sait parfois susciter Ogawa, mais plein de cette douce bizarrerie qui la caractérise et de ce mélange de dévoilement et de retenue qui fait la beauté et la véracité de ses personnages.
Un roman très agréable à lire, offrant un doux dépaysement, parfait pour découvrir Ogawa si vous ne connaissez pas encore sa plume.