De Litteris

12-7-2012

Notules estivales & poétiques

- Editions MLD, Thierry Marchaisse, Joca Seria, Les volets verts, Le cherche midi

Après les suggestions de récits, voici quelques suggestions de recueils poétiques :

Pays sous les continents de Dominique Sorrente (éd. MLD): ce beau recueil rassemble, en quinze itinéraires, trente ans de vie en poésie. Trente ans de voyage, de bifurcations des vocables, trente ans de lectures (Hölderlin, Bonnefoy, Saint John Perse…), trente ans pour énumérer le monde et le nommer. Traversée des îles et des mots, passage des échos, ruptures des rythmes, stupeur créative, amour sacré, divin tourmenté, archipels célébrés comme gentes dames… Le poète pétrit de grâce et d’humour les gestes du quotidien comme la plus infime mousse ou la plus brillante comète. Un très beau recueil, sensible et juste, où l’on assiste à l’éclosion de « l’énigme d’un malgré moi/ce qui ne me ressemble pas encore ».

Un petit extrait, pour vous convaincre, peut-être, à commander chez votre libraire ou sur le site des éditions MLD, ce beau recueil (contenu comme contenant !).

Seul,
ce pourrait être cette pierre à partage.

Le souffle du non-retour
du vent,
le premier logement du soleil
au sommet,
à rendre rose la montagne.

Ou bien seul,
la transparence d’un pas perdu, gagné,
tout blanc sur noir
comme une voyelle intermittente.

 

La vie avec un trou dedans, Philip Larkin (éd. Thierry Marchaisse) : un univers poétique bien différent du précédent ! Vous trouverez ici, en édition bilingue, une poésie caustique, dépeignant la réalité dans toute sa violente crudité. Si quelques poèmes s’adonnent à la mélancolie, la plupart mordent l’Angleterre, la fuite du temps, le déni de la réalité, la structure familiale, le mariage, la permanente proximité de la mort… Sous la plume de Philip Larkin, le quotidien se voit accabler de sarcasmes désespérés, qui s’effacent, parfois, au profit de rythmes plus tendres et surprenants. Je tire mon chapeau à Guy le Gaufey qui propose souvent de jolies trouvailles de traduction. Cette édition est complétée par un art poétique selon Larkin (Le principe de plaisir) et un intéressant entretien, qui éclairent le personnage-poète.

Vous pouvez en feuilleter des extraits sur le site de l’éditeur.

Quelque chose de l’ordre de l’espèce, Guillaume Lebrun (éd. Joca Seria) : conseillée par l’excellent David Marsac, je me suis offert une première incursion dans l’univers de Joca Seria. Entre auto-fiction, monologue théâtral et poésie, Guillaume Lebrun nous parle  « du père et de sa haine, de son héritage et de sa folie, de son meurtre et de ses survivants ». Peut-on survivre à un père brutal, paranoïaque et antisémite qui décide, un soir, de mettre toute sa famille dans la voiture pour aller écraser un Juif ? Le texte se lit comme un exorcisme à la langue heurtée, violente, déstructurée, cherchant à cracher l’indicible, à hurler sa prise de liberté face à l’événement traumatique. Trois parties permettent au fils et à la mère de régler leurs comptes et de découvrir leur impossibilité à pardonner une vie meurtrie, nourrie de haine. On peut ne pas toujours être convaincu par la langue, parfois bancale, qui ne trouve pas toujours sa place entre le trop-de-trash et le trop-de-sophistication : mais il y a là une énergie noire, folle, énorme, qui fascine.

La vue, Raymond Roussel (Les volets verts) : trois poèmes descriptifs portés par les beaux dessins de Daniel Maja, voilà ce que nous propose la sympathique maison d’édition Les volets verts, dont le beau catalogue est à explorer ! Roussel nous réapprend ici à voir, à interroger l’objet regardé, qu’il s’agisse d’une station balnéaire, d’un concert ou d’une source. Son œil-caméra scrute le cadrage, les couleurs, la lumière, les figurants, la dynamique de la narration qui se crée sous nos yeux, l’organisation plastique de ce qui s’offre au regard : saisit-on toujours la réalité, dans son entièreté, à la façon d’un reportage neutre ou le regard n’est-il pas qu’une éternelle ré-interprétation/ réorganisation esthétique de ce dont il s’empare ? Au fil des alexandrins, Roussel interroge l’art photographique naissant (nous sommes à la Belle-Epoque) et nous emporte, ravis, dans son sillage.

En voici les premiers vers :

Quelquefois un reflet momentané s’allume
Dans la vue enchâssée au fond du porte-plume
Contre lequel mon œil bien ouvert est collé
A très peu de distance, à peine reculé
La vue est mise dans une boule de verre
Petite et cependant visible qui s’enserre
Dans le haut, presque au bout du porte-plume blanc
Où l’encre rouge a fait des taches, comme en sang.
La vue est une très fine photographie
Imperceptible, sans doute, si l’on se fie
A la grosseur de son verre dont le morceau
Est dépoli sur un des côtés, au verso ;
Mais tout enfle quand l’œil plus curieux s’approche
Suffisamment pour qu’un cil par moments s’accroche.

Poésies complètes, Roger Kowalski (Le Cherche-Midi éditeur) : voilà quatre mois que je me plonge régulièrement dans l’univers merveilleux et délicat de Kowalski. Difficile d’évoquer cette vie sensible et pudique, bercée de contes, de rêveries, de tendres mélodies, d’oiseaux, de fées, de mystères, d’arbres, de sensualité, de crainte des ténèbres… Quelle belle âme que ce poète ! Il y a en lui la limpidité trouble d’un enfant nourri de mythes et de Nerval, et l’angoisse des incertitudes et des lassitudes adultes, le grondement émerveillé de l’âme qui s’éveille à la vie et la sagesse de celui qui a vécu, en toute modestie et en toute fragilité, avec une courageuse simplicité. Un regard ruisselant de féeries et d’élégance, des mains tâtonnant les rêves, une silhouette vêtue de lumière, discrète mais persistante : tel m’est apparu Kowalski. Une épiphanie poétique.

Pour vous convaincre d’acquérir ce magnifique recueil, un extrait du recueil Le Ban

Les ombres

Il descendit parmi les ombres; celles qui erraient n’étaient pas les moins aimables;  les immobiles, il s’en détournait avec effroi; ombres entre les coudriers, phantasmes derrière les aulnes;  une d’elles portait une aigrette de feu, ses paupières baissées paraissaient intérieurement illuminées;  elle ne bougeait pas. A peine un tressaillement des lèvres, parfois,  comme un qui va pleurer et fait encore un dernier effort qui se prolonge mais c’en est trop soudain.  Il vit bientôt que les larmes libératrices ne pouvaient pas naître et qu’éternellement ces lèvres trembleraient d’un impossible sanglot.


Roger Kowalski

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A demain pour quelques suggestions d’essais !

 

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