Notules estivales & réflexives
Dernier volet de mes suggestions estivales avec, cette fois, trois essais lus ces derniers mois.
Louange des mousses, Véronique Brindeau (éd. Philippe Picquier) : les Japonais cultivent, bien mieux que nous, ces beautés fragiles cachées dans l’ombre que sont les mousses. Evoquer ces végétations humbles, simples, modestes, discrètes, c’est parler de l’acceptation du temps qui passe, de la constance du cœur, de la compréhension de soi et du divin. C’est pratiquer le wabi-sabi (l’attrait pour le calme, le retrait du monde et la simplicité élégante) et voir, à travers les mousses, une occasion de découvrir la notion de cérémonie et d’art à la japonaise.
Avec émerveillement, simplicité, douceur et justesse, Véronique Brindeau chante le nom des mousses (mousse-cyprès, pinceau du Yamato, givre qui se dépose, grande ombrelle, mousse-lanterne, mousse-phénix) et attire notre attention sur l’infime, infini miniature qui « restitue le monde à son silence ».
Qu’elle nous entraîne dans des jardins zens ou dans des sous-bois à la Miyazaki, d’un temple à une maison de thé, la promenade reste sereine, calme et reposante. On savoure à plaisir les magnifiques photos – regrettant parfois que certains lieux évoqués ne soient pas présents visuellement- et la belle sélection de haïkus qui ponctue agréablement ces réflexions esthétiques, qui m’ont parfois rappelé l’esprit de Gaston Bachelard.
En voici un petit extrait, pour vous donner envie de fouler à votre tour les tapis doux-émeraude que déroule pour nous Véronique Brindeau :
La parole s’éloigne de vous tout naturellement, devenue inutile et déplacée. Ombreuse et douce, la mousse épouse la terre, la couvre d’un manteau et pas d’avantage on n’en peut isoler les brins que les flocons. Elle est le printemps perpétuel comme la neige est l’hiver, et comme elle, restitue le monde à son silence.
Le copiste comme auteur, Luciano Canfora (éd. Anarchasis) : que lit-on, et surtout qui lit-on lorsqu’on lit les textes de l’Antiquité classique ? Comment se transmet un texte ? Quel texte doit éditer le philologue au bout de la ligne ? Luciano Canfora nous invite à « pénétrer l’épaisseur du temps de l’existence d’un ouvrage, dans ses rayonnement divers, pour en restituer les aléas depuis les origines, depuis la composition dynamique – jamais close pour ainsi dire – par l’auteur lui-même, et, souvent, ses collaborateurs ». Analysant les concepts fondamentaux de la critique textuelle (l’original, l’auteur, le copiste, la faute, l’archétype et la tradition (in)directe), auscultant la transmission des textes, il souligne combien la philologie est un complément nécessaire à la critique littéraire… voire au travail critique dans son ensemble car Canfora s’autorise des incursions dans l’histoire du cinéma, en évoquant les rapports complexes entre Stanley Kubrick et Kirk Douglas sur le tournage des Sentiers de la Gloire, qui aboutiront à une modification de la fin initialement prévue pour ce film.
Voilà un livre érudit et passionnant qui s’adresse aux passionnés de l’Antiquité comme aux amateurs d’histoire littéraire !
Vie du lettré, William Marx (éd. Minuit) : qu’est-ce qu’un lettré ? Un lecteur, un savant, un auteur, un intellectuel, un fou littéraire ? William Marx propose une sorte de biographie thématique de ce curieux personnage, « celui qui veut savoir et sacrifiera pour cela, s’il le faut, le temps de son sommeil ». En vingt-quatre chapitres, il l’étudie sous tous les angles : de sa naissance jusqu’à sa mort, il explore son rapport au corps et à l’âme, aux animaux, au temps, à la mélancolie, à la religion, à la politique, à la guerre. Investiguant son environnement naturel (le cabinet de travail comme le jardin où l’on fait vagabonder sa pensée) comme ses habitudes alimentaires, ses pratiques sexuelles ou son parcours intellectuel, il dessine le portrait, à travers le temps et l’espace, de celui qui se révèle être le socle d’une civilisation et l’ultime rempart contre ce qui la menace.
Loin d’être un essai scientifique, ces pages érudites proposent bien plutôt un vagabondage intellectuel délectable où l’on butine, de références en illustrations, de quoi affirmer, encore et toujours, le caractère élévateur d’une existence vouée à la culture humaniste.
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Sur cette dernière envolée lyrique, je referme ces pages jusqu’à la mi-août et vous souhaite maintes lectures formatrices d’ici là.
Belles vacances à vous !