De Litteris

30-3-2012

Petite philosophie du voyage

- Editions Transboréal

Le salon du livre a été pour moi l’occasion d’aller saluer certains petits éditeurs qui me tiennent à cœur (ainsi, Les Doigts dans la Prose, dont je critiquerai dans quelques jours le dernier opus) ou de découvrir les collections d’autres éditeurs.

En amatrice de littérature de voyage, j’apprécie le travail des éditions Transboréal, qui ont offert à la belle revue Chemins d’Etoiles un écrin et publient des Indiana Jones modernes à la plume bien trempée. J’étais curieuse de découvrir leur collection « petite philosophie du voyage », qui propose, sous une couverture élégante délicatement embossée, à des auteurs de quitter le rythme du récit pour mieux proposer une réflexion subjective sur certains aspects de leur pratique du voyage.

J’ai emporté avec moi deux volumes :

Le temps du voyage de Patrick Manoukian : cette « petite causerie sur la nonchalance et les vertus de l’étape » déroule une vision du voyage qui m’est proche, celle du voyage comme « infusion » – et non comme entreprise de dévoration des kilomètres. Patrick Manoukian conte, d’anecdotes en anecdotes,  la vertu des rencontres, le temps d’imprégnation et de cristallisation qu’est l’étape goûtée (et non imposée), la joie de s’asseoir côte à côte, et non face à face, pour partager en toute complicité, sans la barrière d’un visage à décrypter… Cette vision, à la fois humble et humaine, du voyage comme passage qui s’étire, comme déambulation se laissant surprendre, est portée par une plume élégante qui roule à plaisir les mots – comme l’auteur roule à plaisir vers les destinations dont le nom lui chante aux oreilles. Un beau plaidoyer pour le voyage et contre le touriste qui (se) « fait » des destinations plutôt que de les goûter… !

Petit extrait, pour vous convaincre : « la beauté des paysages n’est souvent que la beauté des solitudes. Le voyage ne s’enrichit pas seulement des images, mais de la vie de ceux qui habitent ce que nous ne croyons être que des images. La solitude des paysages fait s’engouffrer l’univers en nous et souffler le vent du monde dans nos âmes. Le monde et nous. Nos solitudes et l’univers. Tel est le sens de la halte et du temps qu’elle arrête pour nous. »

La magie des grimoires: laissant les anecdotes brésiliennes, islandaises et américaines de Patrick Manoukian, j’ai plongé à la suite de Nicolas Weill-Parot dans une « petite flânerie dans le secret des bibliothèques ». Cet historien, spécialiste de la science et de la magie médiévale, nous entraîne dans un univers de grimoires, de livres perdus, de manuscrits interdits, de notes à déchiffrer. Il décrit avec humour ses difficultés à cerner un sujet universitaire, ses tribulations ésotériques au cœur de la bibliothèque vaticane, son parcours initiatique au sein d’autres salles de lectures aux réglementations mystiques (British Library, Bodleian…), ses rencontres avec d’autres chercheurs-enquêteurs aux profils romanesques et son émotion à toucher du bout du doigt l’Histoire à travers le papier. Un beau moment d’érudition et de passion, doublé d’une belle défense des Humanités, essentielle(s) en ces temps de mépris culturel.

Un petit extrait, pour vous séduire : « La recherche est une aventure dont il est impossible de fixer le point d’arrivée avant de s’y être engagé pleinement. Qu’une vague idée lui serve de départ ou que ce soit une source précise, le bon chercheur est celui qui entreprend un voyage incertain. La destination qu’il s’était fixée est souvent bien éloignée de la terre où ses pas le conduiront. Il doit quitter le dernier hameau connu. D’abord l’allée est large, toujours entretenue ; il y croise encore quelques promeneurs attardés. L’allée fait place à un chemin, puis à un sentier envahi de broussailles, qui finit par se perdre dans une forêt épaisse. Le soir tombe. Lorsqu’il n’y aura plus personne à qui demander sa route, c’est là, dans une solitude aussi angoissante qu’exaltante, que se jouera l’épreuve de son initiation : soit il rebroussera chemin, soit il s’égarera, soit il saura atteindre cette clairière insoupçonnée, ce village oublié, ce palais secret qui l’attendaient quelque part au-delà des confins du monde connu. »

Conclusion ? Voilà une petite collection dans laquelle je compte piocher d’autres titres, pour nourrir mes propres réflexions voyageuses.

Images : photos personnelles, “Venise infusée”, “Bibliothèque du Musée Guimet”.

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7 commentaires

  1. Delphine a écrit le 30-3-2012 à 18 h 20 min :

    Oh oui, très jolie collection, je viens de m’en commander 2 nouveaux et j’ai grandement apprécié, L’appel de la route, l’écriture du voyage, Les grimoires, Le sens des images. Mon prochain, le temps du voyage. Jamais déçue !!

  2. Julie Proust Tanguy a écrit le 31-3-2012 à 7 h 32 min :

    L’appel de la route et l’écriture du voyage me font aussi de l’oeil… et L’ivresse de la marche et la poésie du rail…

  3. Coutu a écrit le 7-4-2012 à 20 h 21 min :

    L’instinct de la glisse dans cette collection est un régal également, sur le surf mais surtout sur la mer.
    Collection bien sympathique!

  4. Julie Proust Tanguy a écrit le 8-4-2012 à 6 h 49 min :

    Merci pour le conseil !

  5. Fred a écrit le 11-4-2012 à 19 h 09 min :

    Ce qui est surprenant avec cette collection c’est que vous pouvez vous faire emmener sur des sujets complètement inattendus. J’avais lu la Quête du naturaliste et je suis rentrée dans un univers fabuleux dont j’ignorais tout. Ca a été encore plus fort avec l’Instinct de la Glisse qui m’a sidéré par la qualité du style et la pertinence des propos.

  6. Minou a écrit le 15-9-2012 à 7 h 27 min :

    J’ai découvert la collection il y a à peu près un an avec La magie des grimoires et ai lu récemment Le temps du voyage : je ne me lasse pas de tous ces textes ! Après en avoir lu une petite dizaine, j’ai rencontré quelques déceptions, mais elles n’entament pas mon enthousiasme pour toutes les très belles surprises que j’ai rencontrées. La poésie du rail notamment est un très beau voyage et La soif d’images un témoignage passionné et passionnant.

  7. Julie Proust Tanguy a écrit le 15-9-2012 à 8 h 24 min :

    La poésie du rail sera donc définitivement mon choix quand j’aurai à nouveau soif de littérature de voyage !

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